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reste, nous ne voyons rien de bien relevé à singer l’accent des Anglais quand ils parlent français, des Français quand ils parlent anglais et des Américains quand ils parlent du nez ; mais l’imitation est parfois d’une bouffonnerie irrésistible.

Les caractères proprement dits sont peu variés, malgré la multitude des personnages, tous fort expressifs à la surface : c’est presque invariablement la même dame plus ou moins viveuse et qui sait ce qu’elle veut, le même amoureux large d’épaules et de robuste encolure, tantôt un peu stupide et vraiment trop facile à duper, comme Algy de As in a looking glass, tantôt paré, comme le Sabine de the Dean and his daughter, des dons et des connaissances de l’admirable Crichton en personne.

Le Doyen de son dernier livre est peut-être la figure la plus solidement construite et la plus curieuse en même temps que la plus révoltante qu’ait encore peinte M. Philips. Ce doyen n’est au commencement qu’un clergyman ivrogne (nous voilà bien loin du Vicaire de Wakefield), qui vit misérablement dans un presbytère avec sa jolie fille, absolument abandonnée à elle-même depuis qu’elle existe. Sir Henry Carew, son ancien camarade d’université, passe par là, s’éprend d’un caprice de libertin usé pour cette fleur sauvage, et obtient qu’un marché, conduit avec le plus parfait décorum, la lui livre en échange des fonctions de doyen, qu’il assure par son influence au vénérable père de miss Maude. Une rente assez forte accompagne cette haute dignité ecclésiastique, et voilà notre petite campagnarde mariée à un ambassadeur, devenue lady Carew, menant un train princier dans les grandes capitales, faisant partout sensation par ses diamans et sa beauté. Croyez-vous qu’elle se trouve heureuse dans ce luxe, au sortir d’un village où, vêtue de cotonnade, elle se nourrissait bien souvent, faute de meilleure chère, tandis que le ministre cuvait son vin, des œufs crus qu’elle allait voler au poulailler ? Non pas, car elle se sent vendue ; sa fierté se révolte à l’idée d’avoir été jetée par la cupidité de son père aux fantaisies de son mari ; père et mari, elle les hait tous les deux avec une énergie quelque peu déconcertante, même quand on a l’habitude du ton peu respectueux des héroïnes de miss Rhoda Broughton à l’égard de leurs proches. Mais que ne passerait-on pas aux héroïnes si franches, si spontanées, si séduisantes et souvent si malheureuses de miss Broughton ? Sans doute, elles n’ont pas la dignité des figures de miss Austen ou de miss Burney, mais elles n’ont pas non plus leur froideur ; naïvement passionnées, instinctivement généreuses, toujours sincères et jamais corrompues, elles nous charment à la façon de chaudes et sympathiques créatures vivantes, et nous leur pardonnons, comme à des enfans gâtés, de manquer de