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puissante nation ; mais l’idée ne leur vient pas de travailler eux-mêmes à cette transformation tant désirée.

Tout autres sont les dispositions de Gervinus et de Dahlmann. Au besoin, ils mettront la main aux affaires publiques. Tous deux ont été députés au parlement de Francfort, et Dahlmann y a occupé une place importante. Leurs travaux mêmes trahissent presque toujours leurs préoccupations politiques. Avec eux commence la propagande par l’histoire, qui est devenue un art fort cultivé en Allemagne. Gervinus et Dahlmann croyaient servir par elle la cause de l’unité nationale. Elle a été reprise depuis pour le compte de la Prusse. L’Histoire d’Allemagne au XIXe siècle, de M. de Treitschke, est un des modèles du genre. Cette propagande, assez mal dissimulée en dépit de son appareil scientifique, paraît convenir au tempérament intellectuel de la nation. Pour s’emparer des esprits en France, le plus sûr moyen est peut-être de leur présenter des principes simples, et de les conduire, par une déduction logique, à des conclusions qui semblent s’imposer nécessairement. L’Allemand s’en défierait ; mais il se laissera prendre à des considérations historiques qui paraîtront fondées sur les faits. Il ne soupçonne pas d’abord l’artifice qui, par une transposition habile, fait témoigner l’histoire en faveur d’un intérêt présent.

Que Gervinus étudie Machiavel ou Shakspeare, qu’il construise l’histoire de la littérature allemande, qu’il raconte l’histoire du XIXe siècle, toujours l’œuvre s’inspire de quelque arrière-pensée politique. Gervinus ne s’en défend pas : il le dit même bien haut. L’histoire n’est pas pour lui : une fin, mais un moyen. Il lui demande des argumens pour sa cause : au, besoin, il la met tout entière en argument. Dans l’ardeur de sa passion politique, il ne comprend pas qu’il rabaisse étrangement la dignité de la science : il manque au désintéressement qui est le premier devoir du savant et l’honneur de l’historien. Aussi, la plupart de ses ouvrages, tout d’actualité, tombant, après un moment de vogue, dans un oubli mérité. L’un d’eux, cependant, a exercé sur le public allemand une influence durable : c’est l’histoire de la poésie allemande, dont le premier volume parut en 1834. Quatre autres suivirent, à des intervalles peu éloignés. Le tout forma une sorte de pamphlet énergique qui arrivait à son heure, et qui agita les esprits d’un bout à l’autre de l’Allemagne. — Un pamphlet en cinq gros volumes 1 — Assurément. Paul-Louis Courier, qui s’y connaissait, a dit fort, justement que les dimensions ne sont pas de l’essence du pamphlet. Cinq volumes n’étaient pas pour enrayer les lecteurs allemands de ce temps-là, accoutumés aux ouvrages de Hegel et de ses élèves…

Gervinus explique lui-même, dans sa préface, « qu’il a choisi ce