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Dahlmann en 1840, jusqu’à ce que j’aie terminé mon cinquième volume. Alors je secoue de mes pieds la poussière des livres, et je me jette à corps perdu dans la politique. Je sais que vous ne l’approuverez pas. Mais si ceux qui sont indépendans ne le font pas, qui donc devra le faire ? » En 1847, il fonde, à Heidelberg, un journal, la Gazette allemande, qui est très lue et très écoutée. Enfin, en 1848, il touche au but de ses efforts. Selon son désir, un parlement national allemand s’assemble à Francfort. Les gouvernemens, contre toute attente, y donnent les mains. La révolution de février les a surpris, et le contrecoup qu’elle a eu par toute l’Europe les intimide. L’Allemagne va donc se donner librement la liberté, unanimement l’unité. Mais bientôt, dans le parlement même, les difficultés surgissent et se multiplient. Gervinus, les jugeant inextricables, se dérobe. Il fuit les querelles de parti ; il quitte son siège et son journal, et va prendre en Italie un repos dont il a grand besoin. Cette déception l’a dégoûté de la vie publique. « Il me devient plus facile, écrit-il à Jacob Grimm, de me remettre à mes études, car la politique allemande commence à me paraître désespérée et à me répugner. » Il entreprend alors l’histoire du XIXe siècle. Il n’a pas le courage de préparer une nouvelle édition de son histoire de la poésie allemande. « Ce serait un travail d’enfer et de peu de profit. » Ainsi cet ouvrage, que l’Allemagne entière dévorait en 1840, l’auteur lui-même s’en détourne avec humeur dix ans après. C’est que, dans l’intervalle, les événemens de 1848 étaient survenus. Après le parlement de Francfort, les exhortations patriotiques de Gervinus, ses appels chaleureux à la vie politique devenaient une douloureuse ironie. L’épreuve avait été faite : qu’en était-il résulté ? Un échec lamentable, une humiliation nouvelle et un nouveau triomphe pour la politique de réaction en Allemagne. Au reste, cette dure leçon n’a pas rendu Gervinus plus clairvoyant. Tandis qu’il recherche « les lois de l’histoire, » le sens des faits contemporains lui échappe. Ses lettres contiennent des prophéties politiques bien étonnantes. Il fait songer, par instans, à la jolie fable de l’Astrologue qui s’est laissé tomber dans un puits. Le parfait dédain du prince de Bismarck pour les théoriciens de la politique et de l’histoire n’a pas besoin d’être expliqué ; mais, s’il y fallait une raison particulière, nous la trouverions ici. Il les a vus de près de 1848 à 1860, et il a pu juger de leur sagacité.

Pourtant, à défaut de gratitude, le chancelier de l’empire leur devrait bien un peu d’indulgence. Ils ont été pour lui des auxiliaires précieux. Ils lui ont préparé les voies. Qui devait profiter, sinon la Prusse, des sentimens que Gervinus s’efforce d’inspirer à