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l’Allemagne. Ils n’exprimaient, en effet, que les sentimens d’une minorité, je veux dire ceux de la classe moyenne et de la bourgeoisie éclairée ; ils avaient cru vraiment donner une voix aux regrets et aux désirs de la nation entière. Pour ne prendre qu’un exemple, tous subissaient, à des degrés divers, l’attraction de la liberté parlementaire, alors florissante en d’autres pays. Beaucoup la réclamaient avec plus de passion encore que l’unité, et le parlement de Francfort avait surtout pour mission, dans leur pensée, d’assurer cette liberté à l’Allemagne. Mais le peuple allemand, dans ses masses profondes, était loin de ressentir aussi vivement ce désir. Dans l’Allemagne du Sud, les institutions parlementaires, établies depuis longtemps, végétaient à grand’peine. Dans l’Allemagne du Nord, le servage n’était aboli que depuis le commencement du siècle. La population des campagnes, qui formait la très grande majorité de la nation, n’éprouvait pas le besoin d’une liberté politique dont elle n’avait pas l’idée. Les grandes réformes de Stein en Prusse, habilement poursuivies par Hardenberg, avaient correspondu, toutes proportions gardées, à l’œuvre de la Constituante en France. Le gros de la nation restait ainsi étranger aux questions purement politiques. En un mot, l’assemblée de Francfort avait les gouvernemens contre elle, sans avoir le peuple derrière elle. Dès lors, l’issue n’était plus douteuse. Le parlement se montra impolitique et maladroit ; mais toute l’habileté du monde n’eût pas remédié à sa position fausse, et sa faiblesse devait éclater, tôt ou tard, à tous les yeux.

L’insuccès n’était donc que trop certain. Mais, on le voit, la responsabilité n’en retombe pas tout entière sur les Dahlmann et les Gervinus. Sans doute, avec les intentions les plus pures, ils ont nui aux causes qu’ils prétendaient servir. Leur échec complet a détruit, tout d’un coup, la popularité de leurs idées. Ils avaient démontré, sans le vouloir, que l’unité de l’Allemagne ne s’accomplirait pas pacifiquement : les plus clairvoyans parmi eux, après cette expérience, appelaient un vainqueur et se soumettaient à lui par avance. On peut leur reprocher aussi leur présomption, leur inexpérience politique, et, en général, leur médiocrité. Mais tout cela ne suffit pas. Il faut remonter plus haut, à des causes plus générales, auxquelles de plus grands politiques que Dahlmann ou Gervinus n’auraient rien pu changer. L’Allemagne, telle que son évolution historique l’avait façonnée, ne comportait point d’unité politique. Deux puissances rivales s’étaient formées, trop allemandes pour que l’Allemagne pût exister sans elles, trop peu allemandes pour que l’Allemagne pût se confondre avec elles. L’Autriche avait maintes fois sacrifié les intérêts allemands à ses convenances particulières, même au temps où elle portait la couronne impériale : elle avait refusé cette