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timens. Tout semblait aller pour le mieux, et le 15 octobre 1886, le prince Hohenlohe déclarait que peu de mois lui avaient suffi pour s’attacher au pays qu’il était chargé de gouverner, que désormais il regardait Strasbourg comme sa patrie. Tout à coup les affaires se gâtèrent, se brouillèrent, et ce furent les élections du 21 février 1887 qui firent tout le mal ; mais à qui la faute ?

Le Reichstag avait refusé de voter le septennat, et il fut dissous. M. de Bismarck avait prononcé à cette occasion l’un de ses discours les plus retentissans : il y représentait l’armée française comme un redoutable instrument d’agression, et la France comme une nation que le premier hasard précipiterait dans une guerre de revanche. Il devait s’attendre que son éloquence et ses prophéties remueraient profondément les provinces annexées. Peu lui importait ; il ne songeait qu’à se procurer une majorité dans le futur Reichstag, et il sacrifiait l’accessoire au principal. Heureusement l’Alsacien a trop de bon sens pour ne pas savoir que certaines déclarations du chancelier ne doivent être acceptées que sous bénéfice d’inventaire. Mais, en conscience, on ne pouvait espérer qu’il prît parti pour le septennat. On annonçait à l’Alsace-Lorraine de prochaines batailles, et on lui demandait d’élire des députés favorables à une loi qui l’obligerait à augmenter le contingent qu’elle devait fournir à l’Allemagne ; c’était vraiment trop exiger. Le prince Hohenlohe fit une faute grave ; il aurait dû s’abstenir, il résolut d’entrer en campagne. Pour se conformer aux instructions que M. de Hofmann recevait de la chancellerie impériale, et malgré les avis contraires que lui donnaient ses sous-préfets eux-mêmes, il publia un manifeste en faveur du septennat, et ordre fut intimé à tous les fonctionnaires d’user de tous les moyens pour arracher au pays un vote qui fût agréable à Berlin. Jamais pression si violente n’avait été exercée sur les électeurs ; on se flattait de les intimider, on ne réussit qu’à les irriter. Un des candidats officiels ayant affirmé que, si le septennat était rejeté, ce serait la guerre, et que l’ennemi ne tarderait pas à envahir le Reichsland, on lui cria : « L’ennemi ! il y a plus de seize ans qu’il est chez nous. » On avait semé le vent, on récolta la tempête, et l’opposition remporta un éclatant triomphe. L’éloquence de M. de Bismarck et le manifeste du prince Hohenlohe l’avaient beaucoup aidée.

Les bureaucrates de métier ne sont jamais si certains d’avoir raison que lorsqu’ils sont dans leur tort. « C’est la faute du feu maréchal, s’écriait-on, de sa mansuétude et de ses concessions ! Voilà où nous ont menés les voies de douceur ! » — On avait dit aux Alsaciens-Lorrains : « Si vous votez bien, on vous donnera peut-être du sucre d’orge ; si vous votez mal, vous aurez le fouet. » Ils avaient mal voté, ils ont eu le fouet. Les fonctionnaires mécontens et les professeurs de l’univer-