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la trompette et tressaillit. Au même moment, Jonathan, fils du prêtre Abiathar, entra et apprit les conjurés que la ville était en fête par suite de la proclamation de Salomon. Les invités se levèrent troubles et se dispersèrent. Adoniah monta rapidement à Sion, et saisit les acrotères de l’autel qui était devant la tente sacrée. Salomon réussit à les lui faire lâcher, par des promesses évasives, qui lui laissaient au fond sa liberté de vengeance pour l’avenir.

On ne sait pas combien de temps David survécut à cette espèce d’abdication. Son entente avec Salomon paraît avoir été complète. Le caractère de ces deux hommes était, au fond, assez analogue ; ce furent les événemens qui firent entre eux toute la différence. La vie de brigand que le père avait menée lui donnait sur son fils, élevé dans le sérail, une grande supériorité. David recommanda à son successeur quelques personnes qui lui avaient fait du bien, surtout les enfleras de Barzillaï le Galaadite, qui durent avoir leur place à la table royale. Il montra la noire perfidie de son âme hypocrite, en ce qui concerne Joab et Séméï. Il avait pardonné à Séméï dans un moment où la générosité lui était imposée. Il n’osa ensuite retirer la grâce consentie, parce qu’il l’avait scellée d’un serment au nom de Iahvé ; mais, avant de mourir, il demanda à Salomon de trouver un biais pour faire mourir cet homme, qui l’avait blessé à mort : « Tu es un homme habile, lui dit-il ; tu sauras ce que tu dois faire pour que ses cheveux blancs descendent au scheol avec du sang. »

La commission qu’il donna à Salomon relativement à Joab fut encore plus odieuse. Il devait tout à cet énergique soldat ; mais il ne l’avait jamais aimé. Dans une foule de circonstances, il l’avait vu commettre des crimes dont au fond il n’était pas fâché, d’abord parce qu’il en profitait, ensuite parce qu’il pensait, selon la croyance d’alors, que ces crimes vaudraient à Joab une mort violente, de la part des élohim vengeurs, il n’aurait jamais osé le punir ; il avait trop besoin de lui, et d’ailleurs il se trouvait lié envers lui par des sermens trop solennels. Mais il pensa que ces sermens n’obligeaient pas Salomon. Dans le secret des derniers entretiens, il ne se crut plus obligé de dissimuler : « Tu feras selon ta sagesse, dit-il à Salomon, et tu ne laisseras pas ses cheveux blancs descendre en paix au scheol. » Ces raisonnemens nous révoltent, et pourtant de pareils scrupules impliquaient l’idée de dieux justes. La casuistique naissait assez logiquement de l’idée d’un pouvoir méticuleux avec lequel l’homme a un compte ouvert de crimes tarifés. Le débiteur cherche toujours à échapper à son créancier par des raisonnemens subtils.