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aura prise, et je vous envoie ce courrier extraordinaire pour le presser, supposé qu’il ne se soit pas encore déterminé. La mienne est de faire la paix de quelque manière que ce soit, si le roi mon petit-fils ne concourt pas avec moi à la faire aussi avantageuse et aussi glorieuse pour lui que je l’ai toujours désiré. »

Pour convaincre Philippe V, il suffisait, à cette époque, de persuader sa jeune épouse ; et, pour persuader Louise-Marie de Savoie, il suffisait de convaincre la princesse des Ursins. C’est à quoi, de son côté, s’était employé Torcy, en faisant d’abord appel à sa raison, en appuyant ensuite avec une certaine énergie, comme dernier et suprême argument, sur la corde, qui, dans les circonstances, résonnait le plus agréablement à ses oreilles. Lorsque, sur les instances de Louis XIV, le roi d’Espagne avait cédé les Pays-Bas, par ses lettres patentes du 5 mars précédent, à l’électeur de Bavière, qui servait avec zèle la cause de la France, pour compenser la perte de ses états germaniques, il lui avait imposé l’obligation « d’approuver, maintenir et mettre en exécution la grâce qu’il avait faite à sa cousine bien-aimée, dame Marie-Anne de La Trémoille, princesse des Ursins, d’un état en propriété et souveraineté indépendant pour elle et ses héritiers,.. avec le revenu domanial de 30,000 écus,.. monnaie ancienne de Castille, exempt de toutes rentes, hypothèques et de toute autre charge,.. en telle province et en tel endroit que ladite princesse nommerait et choisirait à sa satisfaction… Et, comme il serait difficile de rencontrer un état avec domaine… suffisant pour y établir ledit revenu domanial,.. l’électeur était tenu d’ajouter audit état d’autres domaines qui fussent situés le plus près qu’il se pourrait, jusqu’à rendre complet ledit revenu domanial de 30,000 écus. »

On ne pensait pas, à Utrecht, que les Pays-Bas dussent rester sous la domination de l’électeur. Ils paraissaient déjà destinés à un échange qui lui procurerait la restitution de ses propres états. La clause des lettres patentes du 5 mars, qui donnait satisfaction au vœu le plus cher de Mme des Ursins, qui couronnait toutes ses espérances, et qui, d’ailleurs, déplaisait fort à Maximilien-Emmanuel, risquait donc de ne recevoir aucune exécution si elle n’était agréée par le congrès d’Utrecht. Obtiendrait-on qu’il le confirmât, si la princesse ne se montrait pas décidément favorable à la paix ? Cela était plus que douteux.

« Le roi catholique, madame, — lui écrivait Torcy le 18 avril, — tirera sans doute la France d’un état violent qu’elle ne peut soute-tenir, s’il préfère la conservation de ses droits sur la couronne de France et un avenir très incertain à la possession actuelle du trône d’Espagne ; mais il conservera dans la maison de France les deux