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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/378

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Ce qui caractérise le bouddhisme, c’est précisément de n’avoir point d’hermétisme, peu de symbolique, et de présenter aux hommes, dans leur langage usuel, la vérité sans voiles. C’est ce que voulaient les docteurs manichéens. C’est ce que répète la Société théosophiste. Quand elle encourage l’étude des symboles religieux et des théories hermétiques, cela ne peut être que pour aider au rapprochement des hommes de différents cultes, en leur montrant qu’ils sont d’accord, ou pour satisfaire un besoin de l’esprit. Ce n’est certainement pas pour tirer de là une symbolique nouvelle, un hermétisme nouveau, que notre temps n’accepterait pas. Elle se place ainsi précisément dans les conditions où se placèrent Çâkyamouni en face des symboles brahmaniques, et, plus tard, les missionnaires d’Açôka en face des superstitions chinoises et du symbolisme iranien. Si de cette position prise par la Société théosophique, on rapproche ses publications bouddhiques ou inspirées par le bouddhisme, on est assurément en droit de conclure qu’elle a tous les caractères d’un bouddhisme modernisé.

Beaucoup diront : C’est une entreprise chimérique ; elle n’a pas plus d’avenir que la Nouvelle Jérusalem de la rue Thouin, ni plus de raison d’être que l’Armée du salut. — C’est possible ; on observera cependant que ces deux groupes de personnes sont des sociétés bibliques, qui maintiennent tout l’attirail des religions expirantes. La Société théosophique est tout le contraire ; elle supprime les figures, ou les néglige, ou les relègue au second plan ; elle met au premier plan la science, comme nous la comprenons aujourd’hui, et la réformation morale, dont notre vieux monde a grand besoin. Quels sont donc de nos jours les élémens sociaux qui peuvent être contre elle ou avec elle ? Je vais le dire en toute sincérité.

Le premier obstacle qu’elle rencontrera est l’indifférence. L’indifférence est née de la lassitude ; on est las de l’inaptitude des religions à améliorer la vie sociale, et du continuel spectacle de symboles et de cérémonies que le laïque ne comprend pas et dont le prêtre ne lui donne jamais l’explication. Dans une période de science comme celle où nous sommes, ce qu’on demande, ce sont des formules scientifiques énonçant les lois de la nature, soit physique, soit morale ; ce ne sont plus des figures sacrées ou des cérémonies symboliques, intelligibles pour les seuls initiés du dernier degré. C’est pourquoi le peuple, qui y assistait autrefois avec un sentiment de componction et de terreur salutaire, passe indifférent et cherche ailleurs la règle de vie. La réforme théosophique se heurtera contre ce premier obstacle. Son titre même accroîtra la difficulté et grossira l’écueil : car le mot théosophie n’a aucun sens pour le peuple, même pour les Grecs modernes, et il