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traduits en latin. De l’antiquité romaine, il possédait presque tout ce que nous en possédons, bien plus absolument que la moyenne de ses contemporains. Parmi les poètes, seul Lucrèce peut-être lui était mal connu. Aucun prosateur de quelque importance ne lui a fait défaut. Nous le voyons faire constamment usage de Tacite, que Pétrarque n’a jamais cité. Outre les auteurs de l’époque classique, il a mis à contribution les pères de l’église, et surtout Lactance, les grammairiens, les compilateurs, les polygraphes de la décadence, Priscien, Censorinus, Valère Maxime, Aulu-Gelle, Macrobe. Ces auteurs un peu oubliés eurent sur le moyen âge la plus profonde influence. Tels encore les poètes chrétiens Prudence, Sedulius, Arator, Juvencus ; et ce singulier écrivain, qui tenait déjà au moyen âge, en unissant la fantaisie la plus folle au besoin de la plus sèche information, Martianus Capella, qui intitulait son traité grammatical : les Noces de Mercure et de Philologie. Boccace possédait des auteurs que notre siècle a découverts dans des palimpsestes après des éclipses de plusieurs siècles. En possédait-il que nous ayons tout à fait perdus ? Ce problème de critique et beaucoup d’autres sont résolus en perfection par M. Hortis. Son étude ne pouvait être plus complète ni plus ingénieuse.

Dans les deux premiers livres de son traité, Boccace nous montre son esprit comme une vaste encyclopédie de la science romaine. Dans les derniers, il nous apprend ce qu’il prétend faire de toute cette science. En répondant à ses critiques et aux adversaires de sa pensée, il va nous montrer son idéal, non l’idéal sensuel de sa vingtième année, mais la conquête définitive de son esprit, après de longues et laborieuses études. Il a découvert enfin le champ de la pensée tant désiré. La dernière perfection de l’esprit humain lui apparaît dans la poésie, qui n’est point la versification et l’art d’aligner les mots, mais une sorte de haute maîtrise intellectuelle et morale. « La poésie, dit-il, est une solide science fondée sur les choses éternelles. » Aussi il n’a pas l’orgueil de se prétendre poète : Pétrarque ne pensait pas l’être non plus. Le poète est le maître du monde : il doit tout savoir et tout enseigner. Il a horreur du vulgaire, il n’aime que les pensées chastes. Ses leçons doivent être cachées sous un voile : les fictions des Romains et des Grecs, les figures de la Bible, les paraboles de l’évangile recouvrent un enseignement exquis. Le propre de la vraie poésie est d’avoir un sens mystique ; aussi est-elle faite pour les meilleurs, non pour le peuple.

Ces théories hautaines ne pouvaient manquer de froisser bien des gens. Reprenant pour un instant sa plume de nouvellier, Boccace nous décrit ses critiques en quelques traits vivans. Il les fouaille