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Ils invoquaient le passé et jouaient pièce au ministère. Double motif pour les rendre populaires ! La France se demandait d’ailleurs comment elle pourrait exercer sur le roi une pression décisive, quel levier nouveau elle pourrait employer. Elle était alarmée, inquiète et impatiente. L’initiative hardie des gens de Grenoble était faite pour la satisfaire.

Si la forme seule de l’assemblée de Vizille expliquait son succès, l’émotion des contemporains ne mériterait pas de nous arrêter longtemps. C’est le fond même des résolutions adoptées qui fait comprendre le bruit public et justifie l’efficacité des arrêtés.

Il y a des idées, — ce sont les plus grandes et c’est leur honneur, — qui remuent un temps et que, par la suite, l’assentiment public rend banales. La première fois où elles sont émises, elles passionnent les hommes. A la veille de la révolution, le particularisme dominait chaque partie du territoire, chaque compagnie, chaque corporation. En protestant contre la cour plénière, il n’y avait pas de parlement ou de province éloignée du centre du royaume qui ne fît valoir d’antiques privilèges et ne rappelât à quelles conditions spéciales avait été établi le contrat qui la liait à la couronne. L’amour de la patrie était profond, il faudrait ignorer l’histoire pour le faire dater de la révolution ; mais l’unité de la France, l’égalité des provinces entre elles, la similitude des droits, est un fait assez récent qui a sa date. Notez que chaque privilège avait pour effet de faire retomber sur une province voisine une charge plus lourde, d’où il suit que la province la plus privilégiée était tout naturellement la plus enviée. C’est au milieu de ce croisement d’égoïsmes, de défenses locales, de vues étroites, de mesquines jalousies, que, tout d’un coup, la province du Dauphiné, privilégiée entre toutes, liée au roi par un contrat personnel, comme la Bretagne ou le Béarn, élève la voix pour abdiquer spontanément. En présence des maux de tous ses voisins, elle épouse généreusement leur querelle « et prêche par son exemple la croisade où la France entière s’enrôlera sous la bannière du droit commun. Comment s’étonner qu’une longue acclamation lui ait répondu[1] ? »

L’unité du royaume était l’objet de tous les vœux. L’auteur des arrêtés en trouva l’expression. En traduisant les sentimens de ce temps, il aurait pu donner à la même pensée des formes bien différentes. Toutes les passions qui bouillonnaient alors dans les âmes contenaient ce mélange de bien et de mal inséparable de la condition humaine. Le mérite et l’honneur de ceux qui sont dignes de conduire les hommes est de savoir les mener par leurs vertus et non par leurs vices. Observez de près l’histoire : il y a des courans

  1. L. de Lansac de Laborie, Mounier, p. 20.