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constitution civile ont voulu simplement obliger le clergé à obéir aux lois, ainsi que l’entendait Rousseau. Ils ont banni les prêtres insermentés comme insociables, ils se sont crus tolérans en pratiquant une intolérance révoltante. Pas plus que l’auteur du Contrat social, ils n’ont parlé de toucher à la doctrine. C’est le trait commun de tous ceux qui ont commis l’imprudence coupable de soulever des luttes religieuses depuis un siècle. Ni la constituante, ni Napoléon aux prises avec le saint-siège, ni de nos jours les radicaux n’ont entendu porter atteinte à la religion ; soumettre le clergé aux lois de l’état, telle était leur seule ambition ; c’est le clergé qui était rebelle, il fallait que la force aidât à le rendre sociable. Cette politique violente, dissimulée sous l’hypocrisie de la forme, convient tout particulièrement à nos mœurs civilisées. Nous professons un tel respect pour certains mots, la liberté de conscience est tellement populaire qu’on ne pouvait l’attaquer de front : il fallait trouver une formule nouvelle. Jacobins et radicaux l’ont découverte, s’en sont emparés et en ont fait leur instrument de prédilection. Derrière le sophisme destiné à faire une si haute fortune, il est aisé de découvrir des haines ; en vain Rousseau se prétend-il impartial et tolérant, il attaque à maintes reprises le christianisme, l’accuse de tous les maux, le déclare impropre à la société, soutient avec Bayle que a de véritables chrétiens ne formeraient pas un état qui pût subsister, » qu’ils ne peuvent être ni soldats ni citoyens. Voilà donc sa modération ! il ne persécute pas la religion, il se contente de bannir les chrétiens, et de plus il les charge de tous les maux. Que pourraient faire de plus les colères les plus violentes ? Vienne la Terreur, les paroles du philosophe se changeront en condamnations et feront couler des torrens de sang !

Ainsi l’omnipotence de l’état aboutissant au despotisme dans l’ordre politique, à la religion civile dans l’ordre spirituel, tout cela établi au nom du peuple, de par la volonté générale qui prime e£ qui étouffe l’individu, telle est la théorie du jacobinisme, renouvelée de nos jours par l’école socialiste. Elle apparut pour la première fois à La Constituante, dans l’automne de 1789, découvrant aux plus sages des horizons chargés de tempêtes. De toutes les conceptions de gouvernement, c’est la plus éloignée des faits, de la vérité et du caractère des hommes : elle investit en apparence le citoyen de tous les droits pour les lui retirer tous ; en donnant la toute-puissance au peuple ou à ses délégués, elle se trouve organiser ce qui est le plus contraire aux intérêts de la société, au développement d’une nation, aux besoins du travail : une perpétuelle instabilité.

Êtes-vous donc adversaire de la souveraineté du peuple ? — Oui,