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souffraient pour autre chose qu’un égoïsme démesuré. Israël devait d’autant moins se payer de cette consolation fragile que l’œuvre de Salomon était antipathique à son génie et qu’elle fut éphémère. Ces grandes choses veulent être jugées par le revers ; or, cette fois, le revers fut triste. Si, le lendemain de la mort de Louis XIV, la France se fût disloquée, le jugement de l’histoire sur le grand roi serait fort différent de ce qu’il est.

L’opinion contraire à Salomon était donc légitime à beaucoup d’égards. Toute la littérature du royaume du Nord en fut imprégnée ; en Juda même, les iahvéistes de l’ancienne école lui furent hostiles. Et pourtant ces justes récriminations n’ont pu étouffer le concert des voix favorables qui placent sous ce règne un énorme accroissement de la population, de la richesse publique, du bien-être général. « Les habitans de Juda et d’Israël étaient nombreux comme les grains de sable des bords de la mer. On mangeait, on buvait, on se réjouissait… Juda et Israël demeuraient en sécurité, chacun sous sa vigne et son figuier, de Dan à Beerséba. » A Jérusalem, l’or et l’argent circulaient avec une abondance dont on ne s’était pas fait une idée jusque-là.

Ce furent surtout les populations chananéennes, encore distinctes des Israélites, qui souffrirent de ce régime de travaux forcés et de fiscalité. David, avec beaucoup de raison, avait travaillé à l’assimilation de ces vieux restes d’indigènes. Salomon fut amené, par les exigences du trésor, à une politique toute contraire. Pour rendre les charges moins lourdes aux Israélites, il fit des serfs avec ce qui restait des anciens Hittites et Chananéens. Ces malheureuses populations se virent assujetties à des levées périodiques pour les travaux. Les Gabaonites, en particulier, furent faits serfs du temple. L’armée, qui sous David compta des officiers hittites, fut désormais uniquement composée d’Israélites. Les populations chananéennes disparaissent de l’histoire. Quand vint l’orthodoxie, Israël ne souffrit plus d’esclaves incirconcis dans son sein ; tout le monde reçut en sa chair l’estampille de fils d’Abraham. La race inférieure fut ainsi entraînée dans le courant de la race la plus forte. Elle joua dans l’histoire d’Israël le rôle de démocratie opposante et fut mêlée d’une manière latente à toutes ses convulsions.

La légende voulut qu’en songe, à Gabaon, Salomon, ayant le choix des dons les plus rares, eût demandé à Iahvé la hokma, mot qu’on a l’habitude de traduire par « sagesse. » Il ne faut pas s’y méprendre. La hokma dont il s’agit ici, c’est l’habileté politique, l’art de gouverner selon les idées de l’Orient. C’est parce que Salomon est un hakam qu’il sait trouver un prétexte pour tuer Joab et tourner le serment prêté à Séméï. Une sorte d’escobarderie politique était tenue alors pour le comble de l’intelligence. Salomon