Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regrets et de colère, sur ces quarante ans de vie profane, où, laissant dormir sa vocation religieuse, Israël trouva qu’il est bon de jouir.

Le charmant épisode, probablement légendaire, de la reine de Saba, servit de cadre à cette première édition des Mille et une Nuits. L’Homme, devenu vieux, aime à se reporter vers un état d’imagination où nulle philosophie n’est encore venue troubler ses goûts d’adolescent. Un roi, en même temps sage et voluptueux, un mondain favorisé des révélations célestes, une reine qui vient des extrémités du monde pour voir sa sagesse et lui dire tout ce qu’elle a sur le cœur, un sérail hyperbolique à côté du premier temple élevé à l’éternel, tel a été, avec le Cantique des cantiques, le divertissement et la part du sourire, dans ce grand opéra sombre qu’a créé le génie-hébreu. Il y a des heures, dans la vie la plus religieuse, où l’on fait une halte au bord de la route, et où l’on oublie un moment les devoirs austères ; pour s’amuser, comme les femmes du sérail de Salomon, avec les perles et les perroquets d’Ophir.


IV

Salomon ne compte pas dans l’histoire de la théologie et du sentiment religieux en Israël, et pourtant il marque dans l’histoire religieuse un moment décisif ; il donna une maison à Iahvé. Comme son père, Salomon tenait Iahvé pour le dieu protecteur d’Israël ; il l’honorait dans tous les endroits consacrés, surtout sur les points élevés, y faisait des offrandes, y brûlait de l’encens. Le haut lieu le plus renommé à cette époque était celui de Gabaon. Salomon s’y rendait souvent, y faisait de superbes sacrifices. C’est là que la légende plaça le songe où Iahvé lui aurait donné la sagesse. Le peuple sacrifiait de son côté sur tous les hauts lieux.

La légère tendance raisonnable que David- porta dans le iahvéisme, Salomon paraît l’avoir continuée. Il ne consulte jamais Iahvé par l’urim et tummim ni par les prophètes. Le songe seul est tenu par lui pour significatif. Or le songe, moyen tout personnel de se mettre en rapport avec Dieu, supprimait le lévi et tous les ustensiles des vieux oracles. C’était la révélation par excellence de l’âge élohiste, tel qu’il nous est représenté par le Livre de Job, âge où l’homme voyait les visions de Dieu directement, sans intermédiaire d’homme ni mécanisme quelconque. Aussi les prêtres et les prophètes sont-ils fort abaissés sous Salomon. Les prêtres sont de simples fonctionnaires du roi ; les prophètes sont réduits à cacher leur mécontentement contre tout ce qui se fait et à murmurer en secret ; le roi, comme élu de Iahvé, occupe seul, en religion et en toute chose, le premier rang dans la nation.