Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/577

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce cri, qui avait déjà servi de mot de ralliement à plus d’une sédition, se fit entendre de toutes parts. Le fédéralisme et le goût de la vie patriarcale reprirent le dessus. Les Israélites quittèrent Sichem avec la résolution de ne plus se prêter à la corvée. Le roi eut de la peine à remonter dans son char et à regagner Jérusalem. La première fois qu’Adoniram[1] reparut dans les provinces, il fut assommé à coups de pierre. Jéroboam, que sa force corporelle et son courage désignaient pour la royauté, fut proclamé roi d’Israël par une assemblée des tribus.

Que faisait pendant ce temps l’armée royale, dont les chroniqueurs nous racontent tant de merveilles ? La preuve que cette armée n’exista jamais sérieusement, c’est qu’elle ne fit rien, quand elle aurait eu la meilleure raison d’agir. Roboam s’éternisa en préparatifs pour reconquérir son ascendant sur les tribus du Nord. Mais la forte génération du temps de David était bien morte. L’opinion se montrait indifférente. Les hommes de Dieu, réduits au silence durant tout le règne de Salomon, recommençaient à parler, même du côté de Jérusalem. Un certain Semaïah, prophète, se leva, en Juda, disant que Iahvé lui avait révélé ces mots : « vous ne vous mettrez point en route pour combattre Israël votre frère. « Il fut convenu que tout ce qui était arrivé avait été l’effet de la volonté de Dieu. L’œuvre politique de David et de Salomon était condamnée à jamais. Elle avait duré environ soixante-dix ans.

L’opposition de ces deux dénominations, Juda et Israël, existait dès le temps de Saül. Elle tenait à des raisons anciennes et profondes. La scission, cette fois, fut irrémédiable. Juda et Benjamin demeurèrent fidèles à la famille de David. Tout le reste acclama Jéroboam. Une ligne passant à la hauteur de Béthel marqua la limite des deux royaumes. Les efforts qui seront tentés pour ressouder les deux moitiés séparées échoueront misérablement. Les alliances des deux royaumes seront elles-mêmes de courte durée. Juda traitera Israël d’infidèle ; Israël dépréciera David, raillera Salomon. Tout espoir d’un état sérieux ayant son centre à Jérusalem est perdu sans retour.

On achète toujours cher l’idéal qu’on aime, cet idéal fût-il excellent. L’amour de l’indépendance, de l’autonomie locale, de la vie agricole et pastorale, l’antipathie contre les grandes villes, contre les grandes organisations centralisées, le dégoût pour les recherches de l’art et pour tous ces joujoux de cuivre et d’or par lesquels Salomon avait cru honorer Iahvé, c’étaient là des sentimens hautement louables. Ils firent la grandeur religieuse d’Israël ; mais ils firent aussi sa faiblesse temporelle. Israël, divisé et incapable d’une

  1. Ce nom était devenu mythique pour désigner le préposé aux corvées.