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le même Socrate imagine la vie future comme une conversation sans fin avec les sages des temps passés. Mais il ne semble pas que les perspectives d’un bonheur si pâle aient jamais eu beaucoup d’influence sur le vulgaire des âmes. Causer pendant l’éternité ne pouvait guère avoir d’attrait que pour Socrate. Au contraire, les supplices infernaux décrits par les poètes, reproduits par les peintres dans les maisons, sur les murs des temples, frappaient de terreur. Plus d’un esprit fort s’en moquait. « Mais, dit Platon, certaines choses, sur lesquelles il était tranquille auparavant, éveillent dans son âme (quand la vieillesse arrive) des soucis et des alarmes. Ce qu’on raconte des enfers et des châtimens qui y sont préparés à l’injustice, ces récits, autrefois l’objet de ses railleries, portent maintenant le trouble dans son cœur : il craint qu’ils ne soient véritables. Affaibli par l’âge ou plus près de ces lieux formidables, il semble les mieux apercevoir ; il est donc plein de défiance et de frayeur ; il se demande compte de sa conduite passée ; il recherche le mal qu’il a pu faire. Celui qui, examinant sa vie, la trouve pleine d’injustices, se réveille souvent ; pendant la nuit, agité de terreurs subites comme les enfans ; il tremble et vit dans une affreuse attente. »

Mais qui donc peut se rendre en toute conscience ce témoignage qu’il n’a jamais offensé la justice ? N’est-ce pas d’ailleurs une observation de tous les temps que l’espoir de récompenses réservées à la vertu dans l’autre vie n’a jamais enchanté l’imagination des hommes autant que la pensée de l’inconnu et la perspective de tourmens possibles après la mort ne l’ont frappée de crainte. Rappelons-nous cette fresque aux trois quarts effacée du Campo-Santo de Pise, où le génie d’Orcagna a peint les supplices des damnés ; figurons-nous ce qui se dégageait de terreur, pour les fidèles du XIVe siècle, de ces effroyables scènes : ceux-ci pendus la tête en bas, rongés par des serpens qui s’enroulent autour d’eux ; ceux-là traversés d’une broche et rôtis devant un brasier immense ; d’autres sortant à moitié de chaudières où les démons les retournent avec des fourches. Nous comprendrons alors ce que des peintures analogues contenaient d’épouvante pour les âmes faibles de l’époque d’Épicure. La négation formelle de la vie future, — puisque l’immortalité bienheureuse semblait peu certaine et ne promettait en tout cas que des joies languissantes, — fut, pour tous ceux qui l’accueillirent, une délivrance.

Même à des philosophes ennemis de l’épicuréisme, et dont l’élévation morale est incontestable, la pensée d’un anéantissement total après la mort parut souvent consolatrice. On sait que Sénèque, pour apaiser le désespoir d’une mère pleurant un fils unique, lui