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n’était pas grand pontife. Cependant, malgré ce début peu rassurant, les païens n’eurent pas trop à se plaindre de lui pendant quelques années, et sans doute ils commençaient à se remettre de leurs alarmes, lorsqu’à la fin de son règne, sans les persécuter ouvertement, il prit contre eux une série de mesures qui devaient avoir pour leur culte des suites funestes.

Comme ces mesures, fort habilement concertées, avaient toutes ce caractère de s’appliquer spécialement à Rome, pour comprendre le mécontentement qu’elles soulevèrent et les résistances qu’elles y ont trouvées, il convient de savoir ce que le paganisme était devenu dans sa capitale de l’empire et quelle importance il y avait conservée.

Il ne s’agit pas, on le pense bien, de dresser la liste et de donner le nombre exact des adhérens qui lui étaient restés. Plût au ciel qu’on pût le faire ! l’histoire en tirerait un grand profit ; mais c’est une entreprise où jusqu’ici tous les savans ont échoué. La statistique des croyances est la plus difficile de toutes, surtout quand il s’agit d’une époque où beaucoup ont intérêt à cacher leurs sentimens et d’autres flottent entre les opinions contraires. Aussi les historiens de l’église ou de l’empire, Gibbon, Beugnot et leurs successeurs, quand ils prétendent évaluer en chiffres précis la force des partis religieux, ne font jamais que des calculs de fantaisie[1]. Il faut donc nous contenter de dire qu’à ce moment, quoique la religion chrétienne se fût solidement établie à Rome, les païens y devaient être encore fort nombreux, et que, probablement, il y en avait plus que dans les autres grandes villes de l’empire. C’est ce qui s’explique sans peine : dans un pays où l’on vivait au milieu des souvenirs anciens, il était naturel qu’on demeurât fidèle aux anciennes traditions. L’antiquité était encore vivante à Rome au IVe siècle ; les vieux monumens restaient debout, et les inscriptions nous montrent les magistrats fort occupés à les entretenir et à les réparer. Ces monumens étaient surtout des édifices sacrés : on y comptait alors presque autant de temples qu’il y a d’églises aujourd’hui ; et comme, en général, ils avaient été bâtis en l’honneur de quelque victoire, ils semblaient prouver d’une manière visible et triomphante que l’empire devait sa puissance et sa grandeur à la

  1. Un des derniers historiens qui se sont occupés de cette époque, M. Schultze, au début de son livre intitulé : Geschichte des Untergangs des griechisch-römischen Heidenthums, revient sur cette question et reprend la tentative de Gibbon. Il essaie de donner le chiffre des chrétiens dans l’empire & l’avènement de Constantin, et le calcule d’après le nombre des évêques présens aux conciles des diverses provinces ; mais en supposant même qu’il n’y en avait pas d’absens, de quel droit peut-on conclure du nombre des évêques à celui des fidèles ?