Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 88.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

très doctement les questions qui les intéressent. C’est chez Prétextât qu’ils se rassemblent ; il préside l’entretien et le dirige. Personne ne sait mieux que lui la raison des usages religieux ; on écoute avec respect les explications qu’il en donne : c’est le grand théologien du paganisme, princeps religiosorum, sacrorum omnium prœsul. Ses connaissances ne se bornent pas à la religion nationale, il connaît aussi et pratique les autres : ce pontife de Vesta est en même temps prêtre des dieux de l’Egypte et de l’Asie. Il appartient évidemment à ces croyans de la dernière heure qui, pour résister au christianisme, ont fait un appel désespéré à tous les cultes du monde. Ils craignent que le polythéisme gréco-romain ne soit pas de force à soutenir la lutte tout seul ; mais ils comptent bien qu’il sera vainqueur s’il parvient à grouper comme en un faisceau toutes les autres religions autour de lui. La dévotion de Prætextat n’était pas seulement fort étendue, elle était tout à fait sincère. Il ne lui suffisait pas, comme à beaucoup d’autres, d’en faire étalage dans la vie publique : chez lui, parmi les siens, il professait les mêmes sentimens qu’au sénat. C’est ce qu’on voit clairement dans les lettres que lui écrit Symmaque. Nous avons conservé l’épitaphe en vers que sa femme, Fabia Paulina, a fait graver sur sa tombe. Elle a la forme d’un grave dialogue, dans lequel la femme et le mari s’entretiennent pour la dernière fois. La conversation, comme il convient, débute par des complimens. Prætextat dit de Pauline « qu’elle est amie de la vérité et de l’honneur, fidèle aux dieux et dévouée à leurs temples, qu’elle préfère son mari à elle-même et Rome à son mari ; » de son côté, Pauline déclare, en lui répondant, « que l’éclat de sa famille ne lui a pas valu de plus grand avantage que de la rendre digne d’un mari comme Prætextat. » Puis elle le remercie de lui avoir donné le goût et l’intelligence des choses sacrées : « C’est toi, ô mon époux, qui, en prenant soin de m’instruire, m’as arrachée pure et sainte des bras de la mort, qui m’as conduite dans les temples et m’as faite la servante des dieux. C’est sous tes yeux que j’ai été initiée à tous les mystères. » N’est-il pas curieux de voir à quel point le christianisme s’est imposé à ceux mêmes qui le combattaient ? Les païens s’étaient moqués longtemps de la peine que prenaient les chrétiens pour répandre la connaissance de leur religion parmi les petites gens et les femmes : les voilà qui se préoccupent de faire comme r ceux dont ils plaisantaient. Le bienfait dont Pauline remercie le plus son mari, c’est de l’avoir élevée jusqu’à lui en l’associant à ses croyances :


Sociam bénigne conjugem nectens sacris.