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lesquels il avait l’ordre d’agir, s’étaient aussi renfermés dans leurs grottes » qui étaient profondes. Pendant qu’on cherchait à les investir, ils blessèrent 5 hommes. Les prendre de vive force était impossible ; les réduire par blocus était difficile, car on savait qu’ils avaient des vivres et de l’eau ; un ruisseau souterrain traversait la montagne. Le colonel Pélissier fit ce qu’avait fait le colonel Cavaignac. Après qu’aux dernières sommations les assiégés eurent répondu par des coups de fusil, des fascines, descendues du haut des rochers, furent allumées devant l’entrée des grottes ; le feu brûla toute la nuit.

Le lendemain, 19 juin, au point du jour, un des Kabyles se montra ; le colonel lui fit crier que ni lui ni personne des siens n’avait rien à craindre, qu’aucun d’eux ne serait conduit prisonnier à Mostaganem, que chacun serait libre de rentrer chez soi, mais qu’il fallait d’abord faire soumission et livrer les armes. Les pourparlers durèrent trois heures ; les assiégés exigeaient la retraite préalable des troupes qui les tenaient investis : condition inadmissible. Un dernier quart d’heure leur fut accordé pour réfléchir ; le quart d’heure expiré, un carabinier des chasseurs fut frappé d’une balle kabyle.

Il était dix heures. Des fascines furent amassées sur le foyer de la veille, mais elles ne furent enflammées qu’à deux heures. Les grottes, qui étaient plutôt un tunnel, avaient deux issues, à des niveaux différens. Il se produisit de l’une à l’autre un tirage qui établit sur une longueur de 180 mètres un courant de feu et de fumée. L’incendie gagna les bagages des réfugiés. Pendant la nuit, on crut entendre, des abords de la montagne, un bruit confus, des clameurs sourdes ; puis rien ne troubla plus le silence. Longtemps avant le jour, quelques hommes suffoquant vinrent tomber devant les sentinelles. On se hâta de les relever et d’envoyer reconnaître l’entrée des grottes ; mais une fumée si épaisse et si acre les remplissait qu’il fut impossible d’y pénétrer d’abord. Cependant, on en voyait sortir de temps à autre des êtres presque méconnaissables, qui rampaient, et que d’autres, fanatisés jusque dans l’asphyxie, essayaient d’arrêter en tirant sur eux. Quand on put enfin visiter la fournaise éteinte, on y compta plus de 500 victimes, hommes, femmes, enfans. L’étendue de ce désastre frappa tous les assistans de stupeur. « Ce sont là, monsieur le maréchal, a dit le colonel Pélissier dans son rapport, de ces opérations que l’on entreprend quand on y est forcé, mais que l’on prie Dieu de n’avoir à recommencer jamais. »

Le tragique événement fut vivement commenté en France et au dehors. Interpellé à la chambre des pairs, le maréchal Soult fit une réponse embarrassée, qui ne parut satisfaisante à personne. Quelle que lût son opinion personnelle au sujet de l’acte reproché à son subordonné, le maréchal Bugeaud avait trop le sentiment de