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cinquième roue au carrosse algérien. Telle quelle, l’ordonnance du 15 avril 1845 n’en fut pas moins rendue contre le gré du maréchal, qui en conçut un vif ressentiment.

Un autre de ses griefs, non moins vif, était relatif à la presse. Il y avait deux feuilles spéciales, l’Afrique et l’Algérie, qui lui étaient plus que désagréables, odieuses, la seconde surtout, parce que ses rédacteurs passaient pour être les bienvenus dans les bureaux de la guerre. Le maréchal y était personnellement et amèrement critiqué, tandis que le journal faisait des ovations à ses lieutenans, un seul excepté, Saint-Arnaud. A cet indice, on pourrait soupçonner l’inspiration de Changarnier. Dans son exaspération, le gouverneur avait d’abord égaré ses soupçons du côté de La Moricière, mais tout de suite il lui en avait fait ses excuses : « Je vous remercie, lui écrivit son lieutenant, de penser que je suis étranger aux articles de l’Algérie. Autrefois vous avez douté de la loyauté de mes intentions ; j’en ai été profondément blessé, je ne vous l’ai pas caché. Le temps et les affaires, ces deux grandes épreuves des hommes, vous ont amené à méjuger plus équitablement ; j’en rends grâces au ciel. Il serait fort malheureux que, se laissant prendre à des manœuvres perfides, les hommes arrivassent à douter les uns des autres, alors que leur union est plus nécessaire que jamais au succès des choses et à l’intérêt du pays. Il serait fâcheux surtout qu’ils prissent le public pour confident et pour juge de leurs différends. Pour moi, je repousse la situation de rivalité, d’opposition, dans laquelle on veut me placer par rapport à vous, monsieur le maréchal ; je la repousse parce qu’elle répugne à mon caractère ; je la repousse au nom de la discipline de l’armée, que tout homme qui aime son pays doit respecter, parce qu’elle sera certainement un jour la garantie la plus sûre de son indépendance. »

Il y a, sur ce sujet des journaux, une lettre très originale et très curieuse du maréchal Bugeaud au général de Bourjolly. Remarquons en passant que Bourjolly était bien placé dans son estime. « Je ne trouve pas du tout mauvais, lui écrivait un jour le gouverneur, que vous ayez l’ambition de devenir lieutenant-général. Je serais très fâché que vous n’eussiez pas d’ambition ; c’est une très bonne chose quand elle tourne au profit du pays. Il n’est pas mal non plus de connaître sa propre valeur ; il n’y a que les sots qui ne la connaissent pas et qui l’exagèrent. »

Voici la lettre sur la presse ; elle est datée du 5 juin 1845, au bivouac de l’Oued-bou-Zegzag, dans l’Ouarensenis : « Je vous remercie de m’avoir envoyé vos journaux. Avez-vous rien vu de plus faux, de plus ridicule et de plus odieux que l’Afrique et l’Algérie, mais surtout l’Algérie, car elle est encore plus révoltante que l’Afrique ? A présent, mon cher général, me permettrez-vous