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ainsi qu’il convenait, de leur importance, il fit preuve, cette fois, d’une extrême réserve, soit qu’il eût été réellement sensible aux véhémentes observations que lui avait adressées, quelques jours auparavant, la camarera-mayor, soit plutôt qu’il jugeât prudent de ne pas découvrir son opinion personnelle sur les mérites d’une affaire aussi décisive.

« Les lettres arrivées de Londres avant-hier, madame,.. donnent matière à une délibération bien sérieuse et bien importante pour Leurs Majestés catholiques. M. de Bonnac aura l’honneur de vous dire de quoi il est question. Il vous rendra compte, en même temps, des sentimens du roi. Je crois, madame, que vous ne me conseillez pas de donner mon avis sur une décision aussi capitale… Je souhaite seulement que celle que prendra le roi d’Espagne soit pour sa gloire, pour son bonheur et pour le bien général de l’Europe. »

Il a fallu tout prévoir. En plus d’une circonstance, Philippe s’est montré tenace dans ses résolutions, rebelle à tous les avis. Si, refusant, malgré les touchantes exhortations de son aïeul, la nouvelle royauté qu’on lui offre et qui lui ouvre de si glorieuses perspectives, il se contente, purement et simplement, de l’Espagne et des Indes, Louis XIV verra, non sans douleur, un beau projet s’évanouir, mais l’Angleterre sera satisfaite, et elle accordera la suspension d’armes qu’il attend comme le salut de la France. Si, persistant dans sa première décision, le jeune roi déclare de nouveau qu’il ne veut pas descendre du trône d’Espagne et qu’il ne renoncera pas à la couronne de France tant qu’on ne lui aura pas restitué l’Italie aussi bien que Gibraltar, alors toute négociation est brisée. L’Angleterre met de nouveau ses soldats, son or, sa diplomatie, au service de la coalition ; le prix de tant de sang, de tant d’efforts, est perdu. Ce sera l’humiliation, la ruine, le démembrement peut-être de la monarchie. Contre cette effrayante éventualité, Louis XIV a voulu armer, de ses propres mains, le marquis de Bonnac. Les résistances que l’on n’a pu vaincre par le raisonnement et la tendresse seront brisées, au besoin, par la menace. C’est pourquoi il a joint à la dépêche du 18 mai, sous une enveloppe séparée et revêtue de son sceau, cette lettre autographe :

« Ne perdez pas de temps à me renvoyer le courrier que je vous dépêche, car il faut une prompte réponse, et si le roi, mon petit-fils, refusait, contre mon attente, d’accepter aucune des deux propositions que je lui fais, rendez-lui la lettre que vous trouverez dans celle que je vous écris de ma main. Ne le faites cependant qu’à l’extrémité, et ne parlez jamais à qui que ce soit, sans exception, de cet ordre que je vous donne. Ne le dites pas même à la princesse des Ursins, quoique je vous aie ordonné d’avoir une entière confiance en elle.