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ne permettant aucun retard dans l’expédition des courriers, » — avaient obtenu du jeune souverain, non pas son adhésion complète aux vues de son aïeul, — c’eût été le plus beau et le plus inespéré des triomphes, — mais, tout au moins, la formelle assurance qu’il acceptait l’une des deux propositions de l’Angleterre. La satisfaction du gouvernement de la reine, et, par conséquent, la signature de la suspension d’armes, se trouvaient ainsi garanties. Dans la pensée de Louis XIV, c’était le salut de la France.

Aux dépêches chiffrées par lesquelles Bonnac lui rendait compte des entretiens importans qu’il venait d’avoir avec sa majesté catholique il joignit une enveloppe séparée qu’il cacheta lui-même et qui contenait, outre le pli scellé du roi de France, le billet suivant écrit de sa main :


« Sire,

« J’ai reçu, avec le profond respect que je dois, les ordres que votre Majesté a bien voulu me donner de sa main, et je les ai exécutés, en ce qui regarde le secret, avec toute la soumission et la fidélité possibles. Il n’a pas été nécessaire de rendre au roi d’Espagne la lettre de la main de votre Majesté. S’il n’a pas pris le parti le plus convenable, il en a pris un, et ce n’est qu’au cas qu’il n’en prit aucun que votre Majesté me prescrivait de lui rendre cette lettre. C’est ce qui fait que, pour me conformer à ses ordres, je la joins à celle-ci.

« J’ai l’honneur d’être, etc.


La lettre autographe, destinée par Louis XIV à briser les dernières résistances de Philippe V, ne fut donc lue ni par celui-ci ni même par l’envoyé de France en Espagne. En marge de la copie dont le reste a été reproduit plus haut, et que nous avons retrouvée aux Archives des affaires étrangères, on voit les lignes suivantes : « Cette lettre n’a point été rendue au roi d’Espagne ; M. de Bonnac l’a renvoyée en original, suivant l’ordre que Sa Majesté Lui avait donné de le faire, au cas où elle fût inutile, et elle a été brûlée. »

Pour que le grand roi mit ainsi entre les mains de son ministre un si compromettant et redoutable secret, pour qu’il se crût dans la nécessité de recourir à un tel moyen vis-à-vis de son petit-fils, il fallait vraiment que, dans son opinion, le salut de la France et de sa couronne dépendit du résultat de la négociation si vaillamment conduite par le marquis de Bonnac,

Donnons maintenant la parole au roi d’Espagne pour exposer à son grand-père les considérations qui ont motivé sa décision, et à la princesse dés Ursins pour faire part au marquis de Torcy des sentimens que cette décision lui inspire :