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de leurs dernières campagnes, à remporter sans délai de décisives victoires. Notre armée est à peu près égale à celle de nos adversaires, mais elle compte de nombreuses recrues. Elle est moins disciplinée et moins aguerrie, mal équipée, insuffisamment pourvue ; elle a perdu l’habitude de vaincre, et, par conséquent, la confiance en elle-même. Le vaillant homme qui la commande est contraint, tout d’abord, de se borner à la plus sage des défensives, bien qu’il soit le plus entreprenant des généraux. Au début de la campagne, les succès de l’ennemi sont foudroyans : Le Quesnoy s’est rendu ; l’ennemi a pénétré jusqu’au cœur de la Champagne ; on l’a vu aux environs de Reims ; il a brûlé un faubourg de Verdun, pillé les environs de Metz. Eugène a mis le siège devant Landrecies, « la seule place qui restât pour couvrir les provinces et la capitale de la France. » Les historiens, qui ont méconnu l’importance du service que devait lui rendre à Denain, quelques jours après, la glorieuse épée du maréchal de Villars, avaient sans doute perdu de vue la gravité des périls qui menaçaient, au commencement du mois de juillet 1712, l’indépendance nationale.

Louis XIV en appréciait, en frémissant, toute l’étendue. La défection de l’Angleterre, qu’il avait si chèrement payée, n’aura donc été qu’une manœuvre trompeuse et inféconde. Elle a procuré au gouvernement de la reine, par les conditions du traité d’armistice, par l’occupation de Dunkerque, de Gand et de Bruges, d’inappréciables avantages, sans diminuer sensiblement le nombre de nos ennemis. Le navire désemparé, qui porte la fortune de la France, va-t-il donc sombrer au moment d’entrer au port ? A la vérité, Anne nous a promis que, si l’empereur et les états-généraux se refusent à suivre les conseils de ses ministres, elle traitera directement avec nous, dès que les renonciations auront reçu la sanction qu’elle sollicite, et la perspective des profits considérables que pourra lui procurer une alliance particulière avec la Grande-Bretagne, charme les pensées de Louis. Mais il sait qu’une convention secrète, conclue à Londres, le 22 décembre 1711, entre les états-généraux et l’Angleterre, a renouvelé les engagemens de la reine envers la coalition, affirmé sa fidélité à la cause commune, consacré le maintien des traités conclus, en 1701 et 1703, avec l’empereur. A-t-on le droit de compter sur les scrupules politiques d’un Saint-John et d’un Harley ? Si Landrecies succombe, quelles ne seront pas les exigences de la Hollande et de l’empire, les prétentions mêmes de l’Angleterre ? Du fond de son cabinet, où, les yeux fixés sur la carte des Flandres, il médite les conseils que Voysin, son ministre de la guerre, envoie chaque jour à Villars, le vieux roi, mécontent et irrité, surveille, avec une anxiété fiévreuse, les progrès de la formidable lutte engagée sur les rives de l’Escaut.