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fonctionnaires comme les autres et ont droit aux mêmes avantages. Il ne peut donc pas comprendre pourquoi le trésor public a cessé tout d’un coup de rétribuer leurs services. Saint Ambroise lui répond qu’après tout, le paganisme est traité comme les autres religions de l’empire, que les prêtres chrétiens ne reçoivent pas non plus de salaire, que les églises n’ont pas plus de droit que les temples à recueillir des héritages ; et même il affirme qu’on est plus sévère pour elles, et qu’on veille avec plus de soin à les empêcher de s’enrichir. « Si une veuve chrétienne donne sa fortune aux prêtres des temples, le testament est bon[1] ; il est mauvais, si elle la laisse aux ministres de son Dieu. » C’est une injustice, mais saint Ambroise ne s’en plaint pas : « J’aime mieux, dit-il, que nous soyons pauvres d’argent et riches de grâces. » À ce culte salarié, religio mendicans, comme l’appelle déjà Tertullien, qui avoue son impuissance à vivre sans le secours de l’état, et qui mendie l’aumône du trésor public, il est fier d’opposer le merveilleux développement de l’église du Christ, qui a grandi sans le pouvoir et malgré lui, qui n’a pas besoin de ses libéralités pour vivre. « Tandis que nous nous glorifions du sang que nous avons versé, ils ne sont sensibles qu’à l’argent qu’on leur enlève. Cette pauvreté qui nous semble un honneur, ils la tiennent pour un outrage. Nous trouvons que les empereurs ne nous ont jamais plus prodigué leurs bienfaits que quand ils nous faisaient battre et tuer ; Dieu a fait une récompense pour nous de ce qu’ils regardaient comme un supplice. Nous avons grandi, nous autres, par les châtimens, par les misères, par la mort. Mais eux, — Voyez leurs nobles sentimens ! — ils avouent que leur religion ne peut pas vivre si elle n’est pas payée par l’état. » On voit bien, sans qu’il le dise, que cette situation d’une église indépendante, se suffisant à elle-même et ne tendant la main à personne, lui paraît la meilleure, qu’il n’est pas d’avis qu’elle se mette sous la main de l’état en acceptant ses bienfaits, et qu’il a peur qu’elle ne paie sa fortune de sa liberté.


VI

Ce discours fit changer le conseil d’opinion. La même unanimité qui s’était prononcée d’abord pour Symmaque se déclara pour saint Ambroise, et il nous dit que les païens ne furent pas moins vifs à l’approuver que les autres. Il fut donc décidé que les

  1. L’édit de Gratien n’enlevait aux temples que les biens-fonds, prœdia. Il leur était permis de recueillir des dons en argent. Saint Ambroise prétend que les dernières lois l’interdisaient à l’église.