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consuls, étalent d’abord les syndics de certaines communautés de négocians, ils devinrent plus tard des fonctionnaires publics ; la juridiction commerciale a passé par les mêmes vicissitudes.

Dans presque tous les ordres de l’activité humaine, on aperçoit des groupemens libres d’individus se chargeant à l’origine d’organiser divers services d’intérêt général, que l’état ensuite, au bout de bien des siècles parfois, régularise. Ainsi pour la viabilité : dans un intérêt militaire, les états, soit anciens, soit modernes, ont exécuté, avant le XIXe siècle, quelques rares chaussées. Ils s’acquittaient par là non pas d’une fonction économique, mais d’une fonction stratégique. Les associations privées faisaient le reste : les bacs, les ponts créés par ces confréries spéciales, qui, dans le Midi notamment, étaient appelées pontifices, les routes à péage en Angleterre et dans bien d’autres contrées, les ponts à péage aussi, instrumens primitifs si l’on veut, mais qui ont de longtemps précédé les travaux publics accomplis au moyen d’impôts, les ports mêmes et les docks, œuvres de compagnies, fondés et entretenus suivant le principe rigoureusement commercial, toutes ces créations spontanément écloses ont laissé encore aujourd’hui, surtout dans la Grande-Bretagne et, par un singulier contraste, dans quelques pays primitifs, des traces intéressantes. La seule route qui existe en Syrie, celle de Beyrouth à Damas, est l’œuvre et la propriété, suffisamment rémunératrice, d’une compagnie privée, d’une société française.

Des entreprises qui, par leur caractère encore plus éminemment désintéressé, semblent répugner à l’initiative privée, ont cependant, bien des fois, été accomplies par elle avec un éclatant succès. Stuart Mill classait encore parmi les œuvres qui revenaient de droit et de fait à l’état les explorations scientifiques. Pourrait-il se prononcer ainsi aujourd’hui ? Même il y a trente ans, il eût dû se montrer plus circonspect. Il oubliait que le doyen et le plus remarquable peut-être des voyageurs de l’Europe moderne, Marco Polo, était un fils et neveu de négocians, qui accompagna son père et son oncle dans un voyage de commerce à la cour du grand khan des Mogols, et de là se répandit dans toute l’Asie. Il ignorait surtout notre incomparable Caillié, qui, sans aucunes ressources et aucun appui, traversa, au début de ce siècle, le coin redoutable de l’Afrique nord-occidentale, du Sénégal au Maroc, en passant par Tombouctou, tournée hasardeuse qui ne fut refaite qu’un demi-siècle après par un jeune voyageur allemand. Stuart Mill encore ne pouvait pressentir que la première traversée d’outre en outre de l’Afrique, de la mer des Indes à l’Atlantique, serait accomplie par un aventurier libre, que subventionnèrent ces forces nouvelles, deux grands journaux, l’un américain, l’autre anglais.

Dieu me garde de prétendre que l’état, en Espagne, en Portugal,