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Sans doute aussi, on a pris les biens des temples ; mais quel usage en avaient-ils fait ? « Qu’ils comptent devant vous, dit saint Ambroise, les captifs qu’ils ont délivrés, les pauvres qu’ils ont nourris, les secours qu’ils ont donnés aux exilés pour les faire vivre ! » Il pouvait ajouter qu’une religion intimement liée à l’état, comme le paganisme, et qui s’en fait gloire, ne doit pas être trop surprise que le prince se regarde un peu comme le maître chez elle, et qu’il dispose sans scrupule de ses biens quand il en a besoin. Reste le crime qu’on a commis en supprimant l’autel de la victoire. C’est ici surtout que la réponse de saint Ambroise est curieuse à noter. Symmaque s’en est plaint comme d’un acte d’intolérance : saint Ambroise démontre que rien n’est plus conforme à la parfaite équité, et que c’est au nom même de la liberté des croyances que la mesure a été prise. Est-il juste que les sénateurs chrétiens soient forcés d’assister à des cérémonies dont ils ont horreur ? Pourquoi veut-on à toute force les en rendre témoins, si ce n’est pour les en faire complices ? « Ne semble-t-il pas qu’on entende leurs ennemis qui disent d’un air de triomphe : Ils ont beau faire, la fumée de nos sacrifices frappera leurs yeux, leurs oreilles entendront les airs de nos musiciens, la cendre des victimes pénétrera dans leurs gosiers, l’encens parfumera leurs narines ; en vain ils essaient de détourner la tête, la flamme du foyer sacré colorera leurs visages ! » Puisqu’on ne traîne pas les païens aux autels du Christ, c’est bien le moins qu’en revanche ils n’obligent pas les chrétiens à fréquenter les autels des dieux.

En réalité, ce n’est pas la tolérance que demande Symmaque pour un culte qu’on ne persécute pas encore, c’est la domination. Il est vrai que, dans un des plus beaux passages de son rapport, il soutient que toutes les religions ont un fonds commun, et que, sous des noms divers, elles adorent le même Dieu, ce qui semble indiquer qu’elles ont toutes les mêmes droits, et qu’il veut qu’elles soient traitées avec la même bienveillance ; mais à côté de ces idées larges, qui témoignent d’un esprit dégagé de préjugés et qui flattent singulièrement notre dilettantisme religieux, il y en a d’autres qui amènent à des conclusions contraires. Il nous dit que chaque nation a ses divinités particulières, qui lui sont attribuées par la divinité suprême, pour la garder et la protéger dans ses dangers. Si ce sont véritablement les dieux propres de la cité, aussi inséparables d’elle, suivant son expression, que l’âme l’est du corps, tous les citoyens leur doivent un culte. C’est une religion d’état qu’il institue, et l’on sait que toute religion d’état est inévitablement condamnée à l’intolérance.

Je crois donc que l’on commet une forte méprise et qu’on