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s’écrierait-on pas qu’il a trouvé la forme dernière et définitive des sociétés modernes, la seule en harmonie avec un âge de sécurité, d’indépendance et de justice ? Même dans les conditions présentes, le parti qui soutient les formes sociales existantes, et auquel, par la disparition du parti libéral, échoit l’honneur de défendre la liberté de conscience et les autres libertés nécessaires, est assuré de dominer dans notre pays, et d’y dominer longtemps, le jour où il aura trouvé un chef et reconquis son unité.

Bien autrement précaire et dangereuse est la situation du parti conservateur en Angleterre. Après une longue et glorieuse histoire, les whigs, absorbés par les radicaux, ont cessé d’être un parti indépendant, et les tories occupent les positions abandonnées par les whigs. Mais il en est des positions politiques comme de certaines positions stratégiques, jadis réputées imprenables, et qui ne tiendraient pas un quart d’heure contre l’artillerie moderne. La question est posée entre l’Angleterre aristocratique de Burke et de Pitt, qui ne sera bientôt plus qu’un souvenir, et l’Angleterre démocratique de Gladstone et de Chamberlain, momentanément divisée par la question irlandaise, en réalité chaque jour plus puissante, et suivie de près par le groupe socialiste, qui réclame la nationalisation de la terre. Le ministère Salisbury, appuyé sur une coalition de circonstance, n’existe qu’à la condition d’appliquer le programme de ses adversaires, au lieu du sien. Ce ministère règne et ne gouverne pas ; et le temps n’est pas loin où les tories, comme ces gardiens de la Tour dont le costume suranné amuse les badauds, n’auront plus qu’à veiller sur des choses mortes, sur des joyaux historiques et des armures vides !

Comment rendre le paysan et l’ouvrier, récemment incorporés au pays légal par la réforme électorale de 18¬7 et surtout par celle de 1886, comment les rendre solidaires de cette constitution dont aucun bienfait n’est encore descendu jusqu’à eux ? Comment leur persuader que leur bonheur est indissolublement lié au maintien de la dynastie des Brunswick, de la pairie héréditaire et de l’église établie ? La royauté ? Ils l’entrevoient de loin, dans les grands jours, sous la forme d’une vieille dame en deuil, qui salue alternativement à droite et à gauche. Tous les jours leurs journaux leur apprennent, dans des statistiques pleines d’amertume, combien de pièces d’or, — faites de leurs pence de cuivre, — cette royauté mange par seconde. La chambre des lords ? Elle représente, a dit Charles Kingsley, toutes les fourchettes d’argent du royaume ; elle n’a donc rien à voir avec ceux qui ne possèdent que des fourchettes de fer ou d’étain. Les procès de divorce et les débats de la cour des banqueroutes les ont édifiés sur la valeur morale, la dignité, la sagesse de ces législateurs