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de dialogues anglais, au moyen duquel elle essaya d’abord de se faire expliquer pourquoi ils avaient couché par terre et non dans leur lit, puis elle passa aux « épreuves du soldat en temps de guerre, » et prouva sa sensibilité en se mettant à pleurer. Lawrence fit de son mieux pour être éloquent, et admira le bon cœur qui lui faisait verser des larmes ; toutefois, il ne fut pas fâché lorsque vint une diversion, sous la forme de l’exécution de deux camarades, condamnés chacun à deux cents coups de fouet. Tout le régiment avait ordre d’assister au supplice. Lawrence eut donc une excuse galante pour quitter la vieille dame, qui pleura encore plus fort en apprenant ce qui allait se passer. Les condamnés furent graciés à la demande des habitans, et le reste de la halte se passa à boire et manger.

Il arriva en ce temps-là que le 40e d’infanterie britannique, qui était extrêmement réduit de nombre et vêtu de haillons, se repeupla tout d’un coup, à l’annonce de la paix, d’hommes en belle tenue, qu’on croyait morts depuis des siècles, et qui sortirent de dessous terre, sans qu’on pût comprendre d’où ils venaient et ce qu’ils avaient fait dans ces dernières années. L’amour-propre du régiment fut blessé au vif à l’aspect de ces revenans. Lawrence était hors de lui de colère. Depuis longtemps, il était le seul sergent de sa compagnie, et ils se trouvèrent soudain huit sergens, deux de plus que le nombre réglementaire ! Encore un détail que les relations officielles auraient jugé oiseux et dont nous sommes obligés à cet honnête garçon. Un régiment où il y avait tant de « héros ! » Ils s’embarquèrent sur cet affront et employèrent le temps du séjour à l’île d’Elbe à faire une petite campagne aux Indes-Occidentales. Le récit en est assez obscur. On démêle seulement qu’il y avait des troupes nègres, des fortifications construites avec des barils de sucre, et que les troupes nègres mangeaient les fortifications. Quoi qu’il en soit, le 40e de ligne revint en Europe juste à temps pour prendre part à la bataille de Waterloo, dont Lawrence nous donne un récit moins littéraire que le fameux récit de Stendhal dans la Chartreuse de Parme, mais conçu dans le même esprit de scrupuleuse véracité. Sun régiment fut placé dans un champ quelconque, en vue d’une combinaison qu’il ignore, et avec l’ordre de garder sa position. On forma le carré, et Lawrence raconte ce qu’il vit.

Il vit d’abord un régiment de cavalerie française, qui les chargea et fut repoussé. Il vit ensuite un régiment d’infanterie française, qui dut aussi reculer, mais après un combat acharné et de grandes pertes des deux côtés. Puis ce fut le tour d’un autre régiment de cavalerie, et les rangs du 40e demeurèrent tellement éclaircis, « qu’à peine pouvait-on former le carré. » Cependant il conservait son terrain, et c’est pourquoi Lawrence n’a pas pu voir ce qui se