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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/227

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littérature moderne. Il en possède l’esprit, et cet esprit le possède : savez-vous comment il a tué sa femme ? En lui chatouillant la plante des pieds ; procède scientifique ! Il avait lu, évidemment, quelque traité des maladies nerveuses : le seul récit de cette expérience, par gestes alternés, — Pierrot s’imitant lui-même et singeant l’agonisante tour à tour, — cette reproduction est aussi consciencieuse que celle du delirium tremens dans l’épopée clinique de M. Zola.

Personne, assurément, n’attribuera au naturalisme la satire dialoguée de M. Émile Moreau, Matapan ; mais il serait téméraire, malgré son aspect picaresque, de la porter au compte du romantisme. Entre les deux, pareillement, demeure le drame provençal de M. Paul Arène, le Pain du péché. Matapan n’avait pas mieux demandé que d’être joué sur un théâtre quelconque, voire à la Comédie-Française ; le Pain du péché, à moins que la légende ne soit calomnieuse, avait presque été représenté à l’Odéon : ces ouvrages ne prétendaient pas renouveler l’art dramatique. Aussi bien les romantique ?, dont nous venons de faire la revue, ne suppléaient pas au nombre par l’insolence. Même dans la force de l’âge et du talent, ils se qualifiaient de « vieux ; » c’est qu’ils savaient, apparemment, que le beau temps de leur doctrine était passé. Ils sollicitaient une petite place pour y prendre leurs ébats ; ils ne promettaient pas de conquérir le monde. Ils se promenaient en jouant de la flûte, ou bien du chapeau chinois, sous les murailles de Jéricho, ville des Philistins ; ils ne juraient pas de les faire tomber. Et, sans doute, ils faisaient bien d’être modestes : ce n’est plus guère de ceux-là qu’on attendait le miracle ; il y a trop longtemps que s’est assoupi, sans qu’une pierre eût bougé, l’écho des trompettes sonnées dans la préface de Cromwell.

Restent le naturalisme et ses œuvres. Il convient de mettre à part la Puissance des ténèbres : ce drame n’est pas de chez nous ; il nous vient d’un pays où Dieu existe encore, au-dessus de la nature et des naturalistes. À supposer qu’il soit le type d’une série, ce n’est pas. chez nous que cette série se déroulera. Il ne faut que saluer au passage Sœur Philomène et ces deux petites pièces, Tout pour l’honneur et Jacques Damour : la dernière, qui date de la représentation d’essai du Théâtre Libre, a reparu depuis à l’Odéon ; rien ne s’opposerait, je crois, à ce que l’autre eût le même sort ; je me suis laissé dire que Sœur Philomène avait réussi, tout comme à l’Élysée des Beaux-Arts, sur une scène ordinaire, à Bruxelles. Mais la raison, pour nous, de ne pas nous arrêter ai ces trois ouvrages, c’est que leurs véritables auteurs ne sont pas ces jeunes gens, MM. Jules Vidal et Arthur Byl, M. Henri Céard, M. Léon Hennique, dont la tâche n’a été que de les tirer aussi discrètement que possible d’un roman ou d’une nouvelle (Tout pour l’honneur, sous un titre original, n’est qu’une