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un personnage, on va à Friedrichsruhe ; on s’expose aussi à compromettre gratuitement, sans raison et sans prévoyance, les rapports de deux nations qui restent, en dépit de tout, liées par tant de traditions et d’intérêts, destinés à revivre un jour ou l’autre sous de meilleures influences.

A mesure qu’on approche de l’élection présidentielle aux États-Unis, la lutte s’anime singulièrement entre démocrates et républicains, les uns aspirant à rester à la Maison-Blanche avec M. Cleveland, les autres aspirant à y rentrer avec M. Harrison. L’ancien secrétaire d’état des présidens Garfield et Arthur, qui n’est pas candidat pour son propre compte, mais qui s’est fait l’avocat du candidat républicain, dont il se flatte sans doute d’être le premier lieutenant, une fois la position reconquise, M. Blaine, mène bruyamment la campagne. Il va de ville en ville, de gare en gare, multipliant les discours, prêchant à outrance la politique protectionniste, accusant les démocrates et M. Cleveland de préparer, par leurs programmes de dégrèvemens douaniers, la ruine des États-Unis. On dit même qu’instruit par un récent voyage en Europe dans l’art de la propagande électorale, pourtant assez perfectionné dans son pays, M. Blaine emploierait un singulier moyen : il ferait distribuer partout, pour frapper l’imagination des masses, des images où l’on représente des ouvriers de France et d’Angleterre au visage hâve, affamés et amaigris par le libre échange. Voilà de quoi refroidir les ouvriers américains, qui pourraient n’être pas tentés de s’exposer aux misères causées par la liberté commerciale, qu’on affecte de représenter comme ruineuse pour l’industrie nationale ! Les démocrates, de leur côté, y mettent un peu plus de mesure ; ils n’en sont pas encore aux photographies et aux images. Ils ne soutiennent pas moins la lutte avec ardeur, en hommes maîtres de la position et jaloux de la garder. Si les républicains se servent de tout sans scrupules, les démocrates sont aussi des tacticiens habiles, décidés à ne reculer devant rien pour de jouer la stratégie de leurs adversaires : témoin un incident assez imprévu qui vient de se produire à Washington et qui prouve qu’aux États-Unis comme partout, lorsqu’un intérêt électoral est en jeu, on n’hésite ni à se désavouer ni à sacrifier des intérêts plus sérieux.

Il s’agit d’un vieux différend entre la grande république américaine et l’Angleterre au sujet des pêcheries sur les côtes canadiennes. Les bateaux pêcheurs américains, à ce qu’il parait, ont eu souvent à essuyer dans les eaux canadiennes des vexations qui ont provoqué les réclamations incessantes du cabinet de Washington. De plus, à ce différend se rattache jusqu’à un certain point, indirectement, si l’on veut, la question des relations commerciales avec le Canada, dont les marchandises passent jusqu’ici en libre transit par les États-Unis. Il y a déjà quelque temps, le ministère anglais a envoyé à Washington M. Chamberlain pour en finir avec ces difficultés, pour régulariser une