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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/324

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voix de l’infidèle, ont vite fait d’amollir la pauvre femme, qui ne demande au fond qu’à ne plus gronder. Ses premières paroles : Ah ! taci ingiusto core, respirent la mansuétude et l’apaisement. Rien ne commence avec plus de charme que ce trio divin, avec une plus douce mélancolie et une plus douce espérance. Elvire est ici la sœur de la comtesse : elle aime en véritable fille de Mozart.

Au point de vue de l’amour, les Noces offrent plus de séductions que Don Juan. d’une merveille d’esprit, Mozart a fait une merveille de sentiment. Rossini, plus tard, devait seulement traduire le Barbier de Séville, le transporter en musique. Mozart a fait plus : il a transposé, transfiguré le Mariage de Figaro : «… Un illustre compositeur allemand se chargeait d’extraire du Mariage de Figaro tout ce qu’on y peut trouver de poésie intime et romantique ; il remplaçait les épigrammes et les équivoques graveleuses par les enchantemens d’une musique qui fond le cœur ; il ajoutait des clochettes d’or aux grelots toujours tintans de la marotte de Figaro. » C’est M. Cherbuliez qui a écrit cela, montrant ainsi que les maîtres critiques ont des clartés de tout, que l’intelligence générale et le goût universel suppléent en eux aux connaissances techniques, et qu’ils sentent ce qu’ils prétendent ne pas savoir.

Il est certain que la musique des Noces, bien que très spirituelle, est encore plus sentimentale ; elle flotte dans une atmosphère d’amour. Chérubin est peut-être la plus ravissante création de Mozart. Le maître a idéalisé dans cette figure exquise l’adolescence masculine avec ses inquiétudes, ses troubles de corps et d’âme, son ardeur folie à l’amour, ses désirs que rien n'arrête, que rien ne comble. Le voici, le cherubino d’amor ; il entre comme un petit tourbillon de satin bleu, secouant ses rubans et sa chevelure boudée. Il saute au cou de Suzanne, il l’étourdit de ses déclarations, il lui vole le ruban de la comtesse, il lui donne sa chanson : « Lis-la, dit-il, à ma marraine, à toi-même, à Barberine, à Marceline, à toutes les femmes du château. — Pauvre Chérubin ! s'écrie Suzanne, êtes-vous fou ? » — Il l’est en réalité, et l’air : Non so piu cosa son, cosa faccio, n'est que l’explosion de sa folie. Comme le cœur lui bat, à cet enfant ! Comme le sang lui monte aux joues et les larmes aux yeux ! Quel feu, quelle fièvre ! quelle passion, qui se prend à tout ce qu’elle rencontre ! Et dans ce désordre, avec cette volubilité, rien de vulgaire : mélodie, modulations, tout est délicieux, tout, y compris la fin, avec ce rallentando subit, ces trois ou quatre mesures d’adagio, de langueur et d’attendrissement qui précédent le dernier cri d’amour.

Le second air de Chérubin, le fameux Voi che sapete, est la perle de la partition, et l’une des plus ravissantes mélodies de la musique tout entière. Voi che sapete, c'est en musique, au point de vue de la forme bien entendu, et non du sentiment, ce qu’est en