Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/347

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

confidence de ses chagrins passés, sous la longue phrase : Que de soins, hélas ! que de peines ! un contre-chant de violoncelles descend avec une douceur infinie. Mon cœur parle, écoute ! murmure Faust ; les voix se rapprochent comme les lèvres, et les mots : Et pourtant, j’écoute ! ou plutôt les notes disent que Marguerite va s’abandonner, qu’elle ne luttera plus.

Nous voici au cœur même de l’œuvre, au duo. Il commence par une note unique et régulièrement répétée, procédé familier à Gounod. L’orchestre esquisse, essaie la mélodie que nous allons entendre, et, par une série d’enlacemens, revient à la note primitive. Alors monte des lèvres de Faust la fameuse phrase : Laisse-moi, laisse-moi contempler ton visage ! Devant elle nous sommes un peu comme devant les chants classiques connus et admirés depuis l’enfance ; à peine démêlons-nous les raisons de notre admiration. Elle est parfaite, cette phrase : elle n’a pas une mesure, pas une note de trop ; la courbe en est irréprochable. C’est du Mozart avec plus de passion. Ce laisse-moi, répété, élargit l’horizon, et jette plus de lumière sur le front de Marguerite. À ces mots d’ailleurs déplacés : Comme dans un nuage (il ne faut pas ici de nuage), à ces mots, et malgré eux, tous les voiles se lèvent, et le regard de Faust monte avec sa voix. Puis les notes redescendent, et la mélodie en s’achevant semble doucement se poser. Marguerite, à son tour, reprend, et à travers sa réponse, un contre-chant de flûte passe comme un rayon de lune.

Voilà l’amour tel que l’a chanté Gounod : sans contrainte et sans mélange. Ici pas de couleur historique, comme dans les Huguenots, pas de couleur locale, comme dans l’Africaine. Rien qu’un jardinet allemand, quelques tilleuls et les étoiles. Entre Faust et Marguerite, aucune arrière-pensée, aucune crainte ne vient s’interposer. Ils s’aiment simplement, complètement, et la fleur même qu’interroge la jeune fille lui répond qu’il faut aimer.

L’orchestre voltige ; on dirait qu’il s’effeuille avec la fleur, que les triolets tombent avec les pétales légers. Faust s’anime, s’exalte dans une chaleureuse paraphrase du mot : aimer ; les harpes prennent leur volée, et soudain s’exhale une note solitaire, une note de cor ; devant elle tout se tait, et elle se prolonge seule au milieu du silence. D’une ardeur éternelle… Éternelle ! répètent les deux voix unies, et chaque fois des accords mystérieux transforment l’harmonie de cette seule parole. Puis commence une page idéale d’amour, on pourrait dire la page d’amour par excellence. Là est l’essence même du génie de Gounod. L’âme et les sens à la fois sont pris par ces accens de volupté ; tout l’être en éprouve un trouble délicieux, et reconnaît dans cette musique le mélange de sentimens et de sensations qui est l’amour. Faust chante le premier,