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là à sa méthode. Eh bien ! ces noirs outrés et invraisemblables, qui nous gâtent de charmans ouvrages, c’est ce que ses contemporains ont le plus admiré en lui sous le nom de clair-obscur !

Vers la fin de sa trop courte vie, heureusement, Amerighi reconnut son erreur et revint au modelé en pleine lumière, dans un coloris très personnel, dont la richesse sobre et les larges harmonies secondent à merveille son vigoureux dessin et l’accent de ses figures. C’est sur ces dernières qu’il faut le juger, par exemple la Mise au tombeau du Vatican, la Sainte Cécile du palais Spada, l’adorable Joueuse de luth de la galerie Lichtenstein, restée inachevée, et enfin la Diseuse de bonne aventure et l’héroïque portrait du grand-maître Wignacourt que nous possédons. Le reproche de grossièreté, qu’on lui adressait jadis, fait sourire aujourd’hui. Caravage a simplement devancé le goût des Hollandais et des Espagnols avec plus de style et d’élégance. Les personnages qu’il a préférés ne respirent pas la vertu, à coup sûr, mais pas davantage la bassesse. Ces joueurs de dés, ces lansquenets, ces pages,


Dont le visage allier et charmant s’accommode
D’un panache éclatant,


ces bohémiennes accortes, avec leurs jupes et leurs voiles rayés de vives couleurs, tout ce monde joyeux de corps de garde ou de lieux suspects, nous attache par des physionomies et par une désinvolture qui sont le contraire même de la trivialité. Il me semble retrouver là des figures de connaissance et comme une illustration anticipée de nos grands romantiques, de Hugo, de Musset et de Mérimée.

Et voyez l’audace de l’artiste ! Ces sujets si témérairement choisis, il les traita toujours, et par principe, suivant les proportions de la réalité. C’était une grande nouveauté dans la peinture, et par là encore il fut le maître et le modèle des Espagnols. Il leur apprit aussi et à d’autres, Italiens ou Français, son art des tonalités franches et soutenues, qui s’harmonisent et se balancent par masses, et des draperies simples, étendues sur de larges plans. Nous allons retrouver, plus ou moins, la trace de ces exemples chez tous les maîtres de l’Espagne.

Pour Ribera, cependant, on peut se demander si cette rencontre fut vraiment heureuse et si sa nature violente avait besoin d’être stimulée. Car il s’enthousiasma de son nouveau maître au point de ne lui prendre que ses défauts, ses ombres outrées surtout, défauts qui ne suffirent pas encore à son humeur et qu’il porta aux derniers excès. A côté de lui, les toiles de Caravage les plus