Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Varenne caractérisait avec une rude franchise, sans se préoccuper cette fois de la ponctuation de ses dépêches, ces décevantes sollicitations, à propos d’une mission secrète, qu’un familier de l’Elysée était venu remplir à Berlin auprès du tsar, qui appréciait sa verve et son franc-parler : « Nous ne réussirons pas, écrivait notre ministre, à dissiper les préventions des cours du Nord, car nous ne sommes pas en état de leur offrir les garanties qu’elles réclament. Ne vaudrait-il pas mieux dès lors se renfermer dans l’attitude que donne le droit uni à la force, nous montrer corrects dans nos procédés sans affecter d’empressement, mener nos affaires sans tenir compte du jugement qu’on en porte ; éviter les démarches qu’on pourrait considérer comme des actes de déférence et de timidité, et qui, d’ailleurs, ne changeront rien au fond des choses ? Cette marche, à mon avis, serait la plus sûre, la plus digne, et je pense qu’elle serait aussi la plus utile et la plus propre à pénétrer les étrangers de notre ferme résolution de ne pas leur permettre de s’immiscer dans nos affaires.. »

Les appréciations des agens varient suivant leur caractère ; leur expérience et l’intensité de leur patriotisme. Le baron de Varenne recommandait une attitude digne, réservée, résolue. Il avait vieilli au contact des affaires, il connaissait la valeur des protestations ; il jugeait notre situation en réaliste, convaincu que la France révolutionnaire, et, à plus forte raison, impériale, ne serait acceptée qu’à contre-cœur par l’Europe monarchique, et qu’elle ne s’imposerait que par sa puissance militaire et par son ascendant moral.

Le marquis de Castelbajac estimait, au contraire, que le prince-président ne consoliderait son pouvoir qu’en s’assurant les bonnes grâces du cabinet de Pétersbourg par sa déférence. Ancien dans l’armée, mais nouveau-venu dans la diplomatie, subjugué par les allures majestueuses de l’empereur Nicolas et par son esprit chevaleresque, il transmettait à Paris les conseils qu’on nous prodiguait, avec la ferveur d’un néophyte. Il acceptait, comme paroles d’évangile, les protestations amicales. C’est au prince Louis-Napoléon qu’il faisait remonter les attentions dont il était personnellement l’objet, et qu’il devait moins à ses fonctions officielles qu’à son aménité, à ses épaulettes et à ses antécédens légitimistes. « L’empereur Nicolas est au-dessus des finasseries politiques, écrivait-il dans une heure d’optimisme, sans se douter du marché que, derrière son dos, on proposait à sir Hamilton Seymour ; son cœur noble et généreux, son caractère franc, énergique, le disposent à la confiance pour les hommes qu’il estime. Grâce à sa haute raison et à ses bonnes dispositions, je suis maître de la position. Nous n’en sommes pas encore ici à l’intimité qui existait sous Charles X, mais nous sommes plus avancés que ne l’a été Louis-Philippe après dix-huit ans de règne.