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Pour ce jeune et vaillant prince, cette croix ne sera pas un signe de servage ; mais que penser d’autres souverains allemands ? Le grand-duc de Darmstadt se jette de son propre mouvement à la tête du Bonaparte ! Sans nécessité aucune, il envoie un ambassadeur à Strasbourg. Il se trouve que cet envoyé est, contre tous les usages, le baron de Dalwigk, le premier ministre, et qu’il remet au président, sans prétexte aucun, l’ordre de sa maison ! La récompense pour cet acte de soumission ne se fait pas attendre : le grand-duc de Darmstadt reçoit la Légion d’honneur ! — On prétend, ajoutait l’organe de la cour, que des sympathies pour la France se manifestent également dans les provinces rhénanes. Cela peut être vrai. Les grognards ne manquent pas sur les bords du Rhin, et il se peut qu’il y ait des députés qui préfèrent parler français plutôt que prussien. Mais, qu’on le sache, les admirateurs du bonapartisme sont des misérables ; ils oublient, en courant à Strasbourg, pour se jeter aux pieds de Louis-Napoléon et baiser ses mains, que tout Bonaparte est pour l’Allemagne un ennemi juré ; il est bon de le leur rappeler. »

Ce n’est certes pas par l’aménité des procédés que la Prusse s’est rendue maîtresse de l’Allemagne, mais bien en y entretenant artificiellement les haines internationales et en recourant à un système d’intimidation savamment et obstinément poursuivi. « Il faut rendre à la presse allemande le patriotisme obligatoire, disait M. de Bismarck dans une de ses dépêches de Francfort. Sur ce point comme sur beaucoup d’autres, il n’a été que trop servilement obéi.

M. de Varenne bondissait dans son fauteuil en lisant ces diatribes ; il se débarrassait de ses plaids, prenait sa canne et courait, en traînant la jambe, chez M. de Manteuffel, pour se plaindre et réclamer une sévère répression. Le président du conseil était le premier à déplorer les violences de la Gazette de la Croix, qui ne le ménageait pas toujours. Il se rendait auprès du roi l’interprète ému des doléances du ministre français, et lorsque les outrages du journal dépassaient la mesure, il obtenait parfois l’autorisation de le saisir et même de le suspendre[1]. Mais

  1. Lettre du baron de Varenne au baron de Manteuffel, 30 juillet 1852 : « vous aurez lu les derniers numéros de la Gazette de la Croix, et aussi peut-être le numéro d’aujourd’hui. Je ne m’émeus pas d’articles de journaux, et je n’y attache que l’importance qu’ils méritent ; mais j’aurais lieu de m’étonner que le gouvernement du roi pût tolérer un tel désordre, et permettre que l’outrage fût ainsi impunément déversé sur le chef d’un état ami. J’ai à vous demander de vouloir bien intervenir pour que préalablement le numéro de la Gazette de la Croix soit arrêté à la poste, ainsi que la législation vous en donne le droit. » — Réponse du baron de Manteuffel : « A mon retour de la campagne, j’ai pris connaissance de quelques numéros de la Gazette de la Croix. A côté d’odieuses insinuations contre deux gouvernemens allemands, j’y ai trouvé des sorties contre le prince-président que je n’ai pu que désapprouver hautement. Aussi me suis-je concerté avec le ministre de l’intérieur pour mettre un terme à des procédés malveillans contre des gouvernemens amis et alliés. » — Le lendemain, la Gazette publiait en tête de ses colonnes une note signée du rédacteur en chef, ainsi conçue : « Le soussigné a reçu hier l’invitation de se présenter à la présidence de la police. M. de Hinkeldey lui a annoncé qu’il était chargé par un rescrit ministériel d’enjoindre à la rédaction de cesser ses attaques violentes et haineuses contre les gouvernemens étrangers, et particulièrement contre le président de la république française. M. de Hinkeldey a ajouté qu’au cas où la rédaction ne tiendrait pas compte de l’avertissement, on aurait recours à d’autres mesures. — Bothmer.