Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des prisonniers, malheureux débris de la colonne Montagnac. Rappelant ses fréquentes absences, son impuissance à contenir l’exaspération des tribus marocaines, dont l’hospitalité n’était pas généreuse ni même sûre pour lui, il repoussa énergiquement la responsabilité de cet horrible épisode. Dans notre long entretien, le barbare eut constamment l’avantage de l’éloquence sur le civilisé d’Europe, bien embarrassé d’excuser une conduite qui humiliait son patriotisme, et de donner des espérances dont la réalisation ne dépendait pas de lui. »

Abd-el-Kader, de sa personne, va disparaître des récits qui vont suivre ; mais son souvenir, comme celui du maréchal Bugeaud, s’y retrouvera toujours. Tous deux ont marqué profondément leur empreinte dans l’histoire. Européen, Abd-el-Kader aurait été un très grand homme ; Arabe, ses quinze années de gouvernement et de guerre en Algérie l’ont placé hors de pair dans le monde de l’islam.


VII

Le 2 janvier 1843, le duc d’Aumale écrivait d’Alger au maréchal Bugeaud : « Les événemens du Maroc et la vie politique d’Abd-el-Kader ont eu le dénoûment que vous prévoyiez et que je n’osais espérer. Lorsque ce grand fait s’est accompli, votre nom a été dans tous les cœurs. Chacun s’est rappelé avec reconnaissance que c’est vous qui aviez mis fin à la lutte, que c’est l’excellente direction que vous aviez donnée à la guerre et à toutes les affaires de l’Algérie qui a amené la ruine morale et matérielle d’Abd-el-Kader. Qu’il soit permis à un de vos anciens et modestes lieutenans de vous offrir, à l’occasion du renouvellement de l’année, ses vœux personnels et ceux de toute l’armée, que vous avez si brillamment commandée pendant sept ans. »

Cet hommage délicat que lui rendait son jeune successeur alla droit au cœur du vieux maréchal. Il y fut particulièrement sensible. « J’étais certain d’avance, répondit-il au prince, que vous pensiez ce que vous m’écriviez sur la chute d’Abd-el-Kader. Vous avez l’esprit trop juste pour ne pas apprécier les véritables causes de cet événement, et l’âme trop élevée pour ne pas rendre justice à chacun. Comme tous les hommes capables de faire les grandes choses, vous ne voulez que votre juste part de gloire, et, au besoin, vous en céderiez un peu aux autres. Dans cette circonstance, mon prince, vous m’avez beaucoup honoré, mais vous vous êtes honoré bien davantage. Si votre lettre pouvait être publiée, elle doublerait l’estime, déjà si grande, que vous portent le pays et l’armée. »

La reddition d’Abd-el-Kader avait frappé de stupeur les Arabes ;