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dans les états scandinaves, en Portugal, en Espagne, en Italie, au Brésil, en Autriche même, des contrepoids assez faibles et qui n’empêchent pas le principe électif d’avoir la direction générale de la politique dans ces états. L’Allemagne, ou plutôt la Prusse, est placée aujourd’hui dans des conditions différentes. Le principe électif y a été sérieusement contenu, plus encore par les événemens et par l’ascendant de certains hommes, exceptionnellement bien doués et exceptionnellement heureux, que par les constitutions. Celles-ci laissent la porte ouverte à des aspirations qui nécessairement se feront jour tôt ou tard et ne pourront manquer d’obtenir quelque satisfaction. Quels que soient les rouages gouvernementaux, l’opinion publique, chez tous les peuples chrétiens, obéit aujourd’hui aux mêmes impulsions générales : l’idée que la volonté du grand nombre fuit la loi, que les forces gouvernementales doivent être employées autant que possible à soulager les classes laborieuses, un certain dédain de la tradition, une confiance naïve dans les changemens législatifs. Telle est l’atmosphère sociale où se meuvent les peuples modernes occidentaux. Le plus vieux poète latin dont des lambeaux d’ouvrages nous soient restés, Ennius, pouvait écrire :


Moribus antiquis res stat Romana virisque.


Aujourd’hui, bien peu de gens se soucient des mœurs antiques ; le préjugé général est contre elles. Un réformateur social, M. Le Play, pouvait prêcher aux peuples contemporains de restituer à la vieillesse l’influence prédominante dans la vie publique. Je ne sais si cela serait désirable, mais il n’y a guère d’apparence que cette doctrine convertisse les peuples. Il se rencontre, sans doute, dans la politique, quelques vieillards qui y tiennent une place éminente, naguère en France, à l’heure présente en Allemagne, Angleterre et en Italie : mais ce sont, d’ordinaire, des hommes au tempérament ardent et audacieux, qui, par une de ces fantaisies que se permet parfois le grand âge, se font les serviteurs des idées de la génération la plus récente et sont souvent à leur déclin plus amoureux des nouveautés qu’ils ne l’étaient dans leur jeunesse ou leur maturité. M. Gladstone en fournit la preuve, peut-être aussi M. Thiers. Les générations récentes ont, sur la direction générale de l’état moderne, une action décisive ; elles pèsent d’abord du poids de leurs suffrages : de vingt et un ans à vingt-cinq ans, il y a en France 1,400,000 électeurs, et, en défalquant ceux qui sont retenus dans les rangs de l’armée, il reste encore 1 million déjeunes hommes, presque des adolescens, citoyens tous actifs, dont bien peu s’abstiennent, qui forment le dixième du corps électoral inscrit, et le huitième environ du corps électoral pratiquant. Ces générations nouvelles pèsent