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« Jusqu’ici, je ne pouvais parler des prisonniers musulmans ; je ne savais à qui m’adresser pour cela ; mais nous avions laissé libres et renvoyé à Bugeaud plus de 100 prisonniers des années précédentes, sans échange ni rançon ; et lorsque beaucoup de nos hommes ont été pris par vous et sont tombés entre vos mains, nous avons écrit à Bugeaud, à Monseigneur (probablement le duc d’Aumale) et à votre représentant en Algérie (probablement La Moricière ou Cavaignac) ; nous leur avons écrit plus de trois fois à chacun, et il n’a été répondu à aucune de nos lettres. Bien plus, chacun de ceux que nous avons envoyés porter ces mêmes lettres, on l’a jeté en prison ; c’est une perfidie inconnue des Français, qui au contraire en faisaient un crime aux autres. En aucun temps, le porteur d’une lettre n’a été l’objet d’un acte d’hostilité de la part d’aucun parti.

« On s’est écrié parmi nous : « On a fait des forçats de nos prisonniers, et ceux qui seront faits encore seront encore forçats ! » On a imaginé un autre artifice : on a fait courir le bruit que le sultan de Fez faisait des préparatifs pour venir arracher de nos mains les prisonniers français que nous avions faits. « Il enlèvera, avez-vous fait dire, nos prisonniers et nous les rendra en haine d’Abd-el-Kader. » Nous nous sommes écrié : « Grand Dieu ! est-il possible que des personnages éminens s’abaissent à de pareils moyens ; que des hommes forts et puissans par leur savoir et leur connaissance des hommes et des choses aient recours à cela ? Ils se disposeraient à offrir des prisonniers français en spectacle à des Marocains ! » Bugeaud et Monseigneur les outrageraient et me feraient insulte à moi-même en voulant les délivrer par eux ; car ils n’ignorent pas mes procédés. Du reste, ils ne se peuvent tenir tranquilles ; malgré la trêve, ils ne me laissent pas un moment de repos. Aussi la colère a-t-elle fini par déborder de mon cœur, et nous avons ordonné que l’on tuât vos prisonniers, après les avoir traités, quant à la nourriture et aux égards, mieux que nos propres soldats. Ils avaient tout ce qu’ils pouvaient désirer : café, viande et le reste. Et quand nous avons su que les officiers appartenaient aux meilleures familles de France, comme c’étaient d’ailleurs des héros, et que nous avions constaté nous-même leur fidélité à la foi jurée et leur refus de trahir, nous avons décidé de les épargner pour cette raison et à cause de leur naissance, et de sacrifier les autres.

« La responsabilité de cela, c’est sur les chefs de votre armée qu’elle pèse ; ce sont eux qui les ont assassinés, eux qui ont manqué à leur parole et faussé leur promesse de les racheter. Cette mauvaise foi est indigne de leur réputation de loyauté et des rapports de confiance qui existaient entre nous. De la part d’hommes