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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/66

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pas chaque année de répandre sur la masse des mortels trois cent soixante étincelles de sa bonté. Chacune d’elles les exhausse ou les abaisse, les enrichit ou les appauvrit, les honore ou les avilit. Au reste, les anciens sages ont comparé le destin à la grossesse d’une femme : le sexe de l’enfant prêt à naître ne peut être connu avant l’enfantement. »


III

Tandis qu’Abd-el-Kader demandait à la philosophie religieuse des consolations et des espérances, Bou-Maza cherchait à l’aventure la satisfaction de ses ambitieux désirs ; mais après avoir accepté d’être le khalifa de l’émir, il ne lui était plus possible de se rehausser à son niveau. Il avait pu sans doute, à l’origine, exercer dans le Tell oranais et dans le Titteri un certain prestige ; ces temps favorables étaient passés, il s’en rendait bien compte ; aussi était-ce sur un terrain nouveau qu’il voulait renouveler son personnage. Il est vrai que sur ce terrain-là le grand émir avait laissé sa trace, et qu’à vouloir jouer le même rôle après lui, l’émule présomptueux s’exposait au danger des comparaisons accablantes.

Tel fut le sort de Bou-Maza parmi les tribus sahariennes, d’abord chez les Hamiane et les Ouled-Sidi-Cheikh, puis dans le Djebel-Amour, puis chez les Ouled-Naïl. Plus au nord-est, dans les oasis de la province de Constantine, il fut accueilli avec un peu moins de défaveur ; il parvint même à intéresser à sa cause les Ouled-Djellal ; mais le résultat fut malheureux pour ses adhérens, que châtia rudement le général Herbillon. Bou-Maza n’avait pas attendu de partager leur sort ; il s’était enfoncé dans le vrai Sahara jusqu’à Tougourte. Le général Herbillon, et, plus à l’ouest, le général Marey, profitèrent de l’occasion pour montrer au-delà du Tell l’appareil menaçant de leurs colonnes, et cette démonstration, appuyée de quelques exemples faits aux dépens des insoumis, acheva d’effacer les derniers souvenirs du passage, non de Bou-Maza, qui n’était guère redoutable, mais d’Abd-el-Kader qui, même déchu, pouvait le redevenir encore.

Le chérif, réduit à singer l’émir, essayait, comme lui naguère, de revenir de l’est à l’ouest, courant la nuit, se cachant le jour. En fin de compte, il réussit à rentrer dans le Tell. Le 11 mars 1847, il fut signalé dans l’Ouarensenis ; mais il n’avait avec lui qu’une douzaine de cavaliers. Le lieutenant Margueritte, chef du bureau arabe de Teniet-el-Had, qui n’avait pareillement qu’une douzaine de spahis, se mit à ses trousses, l’atteignit après trois heures de