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de politique intérieure, que le général Boulanger est devenu le porte-drapeau ou le tambour-major des nombreux mécontens qui conspirent la perte de la république. Désormais on ne regarde plus le boulangisme comme un danger, mais comme une curiosité, comme un phénomène étrange, comme une nouvelle preuve de l’incurable légèreté de notre humeur. « Ils sont toujours les mêmes, ont dit les philosophes qui écrivent dans les journaux. Les voilà une fois de plus dégoûtés de leur sort. Rien n’est constant en eux que leur éternelle inconstance, que la perpétuelle inquiétude de leur esprit. Ils sont incapables de vouloir vingt ans de suite la même chose. On pouvait croire qu’ils avaient appris à se défier des sauveurs, que de funestes expériences leur avaient démontré combien les sauvetages coûtent cher, et les voilà prêts à se donner à un homme, sans même savoir ce qu’il fera d’eux. « Il y a dans ces reproches un mélange de vérité et d’injustice. Quand les grenouilles prièrent le monarque des dieux de leur donner un chef qui mit un peu d’ordre dans leurs marais, il s’amusa à les faire gouverner par un soliveau. Elles eurent bientôt fait de sauter sur l’épaule de leur roi et d’en demander un autre qui se remuât. On leur envoya une grue, qui les croqua à son plaisir, et grenouilles de se plaindre encore ! Les commentateurs de La Fontaine Be sont moqués à ce propos de la gent marécageuse, de son naturel versatile et changeant, de ses désirs contradictoires. L’un d’eux a pourtant remarqué fort sensément qu’elle n’avait pas si grand tort, qu’il y a heureusement un milieu entre la grue et le soliveau.

Qu’on étudie l’histoire des peuples qui passent pour avoir de, la gravité dans l’humeur, du poids dans le caractère, et qu’on dise si leurs contradictions et leurs inconstances ne sont pas égales aux nôtres ! On les verra partagés comme nous entra le besoin d’être libres et le désir de se savoir et de se sentir gouvernés. C’est la loi naturelle de tout pays qui est une puissance européenne, qui a un rôle à jouer sur le grand théâtre du monde, et qui doit concilier le soin du pot-au-feu avec le souci de ses destinées. Tantôt les nations ne songent qu’à leur bien-être, elles se laissent vivre au jour le jour et se résignent facilement à être conduites par des hommes qui passent leur temps à faire et à dire des choses médiocres. Tantôt elles s’indignent de leur abaissement et reprochent avec amertume à leurs maîtres de manquer d’autorité au dedans et de crédit au dehors.

Les révolutions des Provinces-Unies en font foi ; le conflit tragique du parti orangiste et du parti républicain a été durant près de deux siècles le fond de leur histoire. Personne n’a raconté ces luttes avec plus de clarté, plus de chaleur que M. Antonin Lefèvre-Pontalis dans sa remarquable et instructive biographie du grand, pensionnaire Jean de Witt ; personne n’a mieux expliqué, pièces en main, pourquoi, à quelques