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dans l’espérance que le nom qui sortira des urnes ne sera pas le sien, mais celui du prétendant qui leur est cher. « C’est le général, disent-ils, qui renversera la république, mais il sera impuissant à la remplacer, et il faudra venir à nous. Il balaiera la maison, après quoi nous lui signifierons au nom du vrai propriétaire qu’il ait à vider les lieux. » Voilà ce qu’ils disent, et ils parlent tout haut, car aujourd’hui les conspirateurs conspirent publiquement. Les Fiesque de ce temps montent sur les plus hautes, tours, pour annoncer leurs projets à l’univers, et ils mettent dans leur confidence les clochers et les cloches.

Ce sont là des complots bien bruyans, des combinaisons très hasardeuses. Pour que tout réussit comme ou s’en flatte, il faudrait que le général fût bien incapable ou bien désintéressé. Quand on épouse une princesse par procuration, on ne choisit pas pour son représentant, qui échangera avec elle les anneaux nuptiaux, un homme éperdument épris de ses grâces et très désireux de les garder pour lui. En 1843, les monarchistes de l’assemblée nationale projetaient d’épouser la France par la procuration du prince Louis-Napoléon. Il l’a trouvée bonne à prendre, bonne à garder. M. de Beust raconte dans ses mémoires que, lorsqu’il était ambassadeur à Paris, quelqu’un lui dit : « La France n’oubliera jamais tout ce que lui a coûté Napoléon III. Ces choses-là n’arrivent que lorsqu’un imbécile s’imagine être la Providence. » A quoi l’ambassadeur répondit : « Que pensez-vous des millions d’imbéciles qui lui ont confié cette mission ? » Ces prétendus imbéciles avaient pour souffleurs quelques milliers de gens d’esprit, qui ont été dupes de leur propre malice. Comme le disait encore M. de Beust, les gens d’esprit n’ont pas toujours celui de ne pas faire de sottises.

Si la popularité du général Boulanger est inquiétante pour les républicains, il faut convenir qu’elle est pour les conservateurs monarchistes une cruelle humiliation. Trois prétendans, héritiers de grands souvenirs, ont déclaré à la Fiance que le jour où elle aurait besoin d’un sauveur, ils se tiendraient à ses ordres. Mais elle s’adresse ailleurs, elle n’a de goût que pour les hommes nouveaux. Il y avait en Hollande des républicains et des stathoudériens, et des gens qui, selon les cas, par des raisons que M. Lefèvre-Pontalis a fort bien expliquées, votaient tour à tour pour le stathoudérat et pour la république ; mais ils s’accordaient tous à penser qu’on ne pouvait choisir un stathouder que dans cette maison de Nassau qui avait créé les Provinces-Unies et arrosé les fondations de son sang. Le comte d’Estrades avait prédit qu’il ne tiendrait qu’au prince d’Orange de faire de grands remuemens parce que ses ancêtres revivaient en lui, et c’étaient ses ancêtres qu’acclamait la foule en le regardant passer : elle croyait voir pendre à son côté l’épée encore fumante du