Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 89.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patriotes les plus populaires parmi les Slaves du Sud, dont il est depuis quarante ans l’apôtre vénéré, l’infatigable bienfaiteur.

Esprit supérieur, renommé pour ses lumières, pour sa science et son libéralisme aussi actif que généreux, passionné pour son pays, Mgr Strossmayer a passé sa vie à servir la Croatie et la cause slave. Depuis quarante ans, depuis qu’il est à Diakovo, il emploie toutes les ressources de son diocèse à répandre l’instruction populaire par les écoles, à fonder des musées, des bibliothèques, des établissemens d’utilité publique, à remettre en honneur les traditions de sa race, à raviver sous toutes les formes, par tous les moyens, par l’enseignement de l’histoire comme par la littérature et par les arts, le sentiment de la nationalité. Il défend pied à pied la Croatie contre les Magyars de Pesth de qui elle dépend, qui pour elle représentent l’ennemi, comme l’Allemand représente l’ennemi pour les Slaves de Bohême. Il ne poursuit pas seulement une œuvre nationale : depuis longtemps son rêve est de préparer une réconciliation religieuse entre l’église catholique, dont il est un des chefs, et l’église orientale orthodoxe. Aussi ne laisse-t-il échapper aucune occasion de travailler à cette réconciliation, et lorsqu’il y a quelque temps, on célébrait, à Kief, le neuvième centenaire de la conversion de la Russie à la foi chrétienne, il s’empressait d’adresser, sous la forme d’un télégramme, un chaleureux appel aux organisateurs des fêtes, à la grande puissance slave. C’est précisément ce télégramme envoyé à Kief qui a motivé récemment la scène de Belovar, l’amère remontrance de l’empereur. Il y a eu évidemment quelque méprise. Mgr Strossmayer a toujours été sincèrement attaché à l’Autriche et à l’empereur. L’appel qu’il a adressé à Kief n’avait, cela est bien clair, qu’un caractère tout religieux, il ne pouvait être un acte de faction. Ce qui a frappé et indisposé sans doute l’empereur François-Joseph, c’est la coïncidence de cette manifestation avec une situation générale ou l’Autriche peut avoir à tout instant des embarras avec la Russie. Malheureusement il a frappé un peu fort en traitant avec dureté un prélat populaire. Il peut avoir causé quelque satisfaction à Pesth et parmi les Allemands de l’empire ; il n’a sûrement réussi ni à affaiblir l’autorité de l’évêque de Diakovo ni à décourager les Slaves. Les paroles de l’empereur ont provoqué, au contraire, une sorte d’explosion ; les Tchèques de la Bohême se sont empressés d’envoyer leurs félicitations à Mgr Strossmayer. La réprimande n’a servi à rien. Les Slaves sentent désormais leur puissance. Ils peuvent devenir un danger, c’est possible. L’Autriche n’a que le choix des dangers, et les Allemands aussi peuvent créer aujourd’hui même des difficultés d’une autre nature en préparant pour l’arrivée de l’empereur Guillaume des ovations, des manifestations qui pourraient être embarrassantes ou humiliantes pour le gouvernement de Vienne. Toutes les