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les lois de la guerre. Il n’y a pas encore trente ans que ces lois, formées pour la plupart de traditions sauvages, autorisaient à bombarder les ambulances, à faire prisonniers les médecins militaires, tous les employés du service de santé, et à vider à son profit les hôpitaux où les blessés de l’armée ennemie avaient été recueillis. C’était impitoyable ; mais c’était l’usage. À cette heure, il n’en est plus ainsi ; la convention de Genève, suscitée dans un pays neutre, a rendu sacrés ceux qui sont tombés, sur le champ de bataille, ceux qui soignent les blessés, et ceux qui les ramassent. C’est là un fait considérable qui marque une date importante dans les annales de l’histoire. Toute l’Europe a accepté ce traité de sagesse et de commisération. La guerre y perd de sa cruauté, il lui en reste encore assez pour satisfaire les plus difficiles.

La convention de Genève a eu un autre résultat, qui est de conséquence grave et fait honneur aux nations. Elle a donné naissance à des sociétés libres, qui se font les auxiliaires des services officiels, et dont la mission, chaleureusement recherchée, est de porter secours aux blessés, en mettant à leur disposition avant, pendant et après la guerre, les ressources dont elles disposent. La création de ces sociétés, que les peuples ont baptisées spontanément du nom de la Croix rouge, est un inexprimable bienfait, non-seulement parce qu’elles s’empressent autour des victimes de la bataille, mais parce que leur personnel médical vient en aide au service de santé militaire, dont l’insuffisance numérique a été parfois excessive. Sans les ambulances volontaires, qui, en 1870, ont été rejoindre nos armées et ont fait, en France, la première application de l’initiative privée en pareille matière, les désastres qui nous ont frappés eussent été plus redoutables encore. À ce moment, on tâtonnait, et l’expérience s’est faite dans de douloureuses conditions ; de grands progrès ont été réalisés depuis lors, chez nous et ailleurs ; avant de le constater, avant d’expliquer le mécanisme des sociétés de secours aux blessés, et pour en mieux déterminer la haute portée, il convient de faire connaître quelles exigences s’imposaient autrefois à notre service médical militaire, quels prodiges il a dû accomplir, et de combien de victimes il a payé la mauvaise organisation, qui lui enlevait toute initiative. A cet égard, la guerre de Crimée et la guerre d’Italie fournissent des documens instructifs.


I. — EN CRIMÉE.

Si l’on parvient à s’élever au-dessus des préjugés dont les foules sont idolâtres par instinct et par tradition, on conviendra que la