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On voulait un prince, et les astrologues l’avaient promis. Les songes avaient confirmé l’arrêt des astres. Quand l’enfant vint au monde, il parut bien que les étoiles et les puissances mystérieuses qui envoient les rêves ne s’étaient trompées qu’à demi, et que la nature avait réellement essayé de faire un garçon. Le nouveau-né était si velu, si noir, il avait la voix si rude et si forte, qu’on crut avoir un prince. Ce n’était par malheur qu’un garçon manqué, et qui resta tel toute sa vie. Gustave-Adolphe se consola vite, mais la reine sa femme prit cette petite taupe en horreur. Elle ne pouvait lui pardonner d’être une fille, et un laideron par-dessus le marché. Christine insinue dans son autobiographie[1] que l’aversion de sa mère contribua à multiplier les accidens autour de son berceau, et que c’est miracle si elle en fut quitte pour une épaule plus haute que l’autre. Dans tout ce que nous savons de Marie-Éléonore, rien n’autorise un pareil soupçon.

La reine était extravagante et pleurnicheuse ; ce n’était pas une méchante femme. Gustave-Adolphe la définissait une personne « sans conseil, » et le mot était juste : elle n’avait pas l’ombre de sens commun. Son époux en était néanmoins très amoureux, et lui passait volontiers son ineptie et ses éternelles scènes de larmes, parce qu’elle était belle et « d’une humeur fort douce. « Il l’aimait de la manière un peu hautaine dont les hommes d’esprit aiment les sottes, se plaisant à la voir parée et ne lui parlant de rien. Il avait raison, puisque la reine l’adorait et était parfaitement contente de son lot. Elle vivait entourée de nains, de bouffons et de gens de peu, occupée de recettes pour conserver son teint, à l’écart de tout, ignorant tout, livrée aux basses intrigues de ses domestiques. Avec ses superstitions, ses idées d’un autre temps, sa cour barbare de monstres et de parasites, elle représentait le moyen âge à la cour de Suède, au XVIIe siècle, et sous Gustave-Adolphe. Sa douceur ne permet guère de croire qu’elle ait essayé de tuer ou d’estropier sa fille, pour la punir de ne pas être un fils ; mais elle fut une mère déplorable, dont il est juste de tenir compte à Christine. Celle-ci lui- dut ses plus gros défauts, et aucune qualité. Tout ce qu’elle eut de bon lui vint de son père.

Gustave-Adolphe a laissé un souvenir lumineux. Il était tout à

  1. Vie de la reine Christine, faite par elle-même. Tome III des Mémoires concernant Christine, etc., publiés par Archenholtz, bibliothécaire du landgrave de Hesse-Cassel. (Amsterdam et Leipzig, 1 vol., 1751-1760.) La vaste compilation d’Archenholtz contient la plupart des documens en tout genre dont se sont servis successivement les historiens qui ont parlé de Christine. Grauert a cependant complété Archenholtz sur quelques points dans Christina, Königin von Schweden und ihr Hof, 2 vol. Bonn, 1837.