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conseils-généraux respectifs, refuseraient individuellement, en détail, de se lancer dans celles de ces entreprises dont la nécessité ne leur paraîtrait ni suffisamment démontrée, ni suffisamment pressante. Il y a beaucoup de dépenses que les citoyens ne feraient pas, ou qui seraient moindres, si l’état ne se chargeait d’agir en leur nom. Autrement dit, quatre-vingt-sept particuliers, qui séparément administrent bien leurs revenus, sont souvent amenés, en faisant bourse commune, à mal employer le fonds social. Par application de ce système, on pourrait sans inconvénient extraire du budget annuel de l’état, aussi bien en recettes qu’en dépenses, 600 ou 700 millions, qui, divisés entre les budgets particuliers des départemens, demeureraient soumis au contrôle des assemblées départementales. En province, le budget des recettes est plus rapproché qu’à Paris du budget des dépenses ; émietter certains chapitres du budget national, ce serait mettre plus aisément en regard le sacrifice qu’on demande au contribuable et le bénéfice qu’on lui procure, ce qui lui est pris et ce qui lui est donné. Ce serait une garantie d’économie et une satisfaction à ce vœu des états-généraux de 1789 réclamant « l’action efficace de la nation dans ses affaires. »

Certes, la centralisation n’est pas une création nouvelle ; notre société, qui paraît s’être modifiée de fond en comble, conserve néanmoins la structure que les siècles lui ont donnée. Déjà, sous l’ancien régime, les peuples avaient été contraints par la force, et continuaient ensuite, par une sorte de débonnaireté native qui parait être assez dans nos coutumes, à tourner les yeux vers l’intendant comme vers la Providence, et à attendre de lui leur salut. Il est incontestable que, si les mœurs ont une action sur les lois, les lois à leur tour ont une action sur les mœurs ; que tout être humain est modifiable jusqu’à un certain degré, au point de vue intellectuel aussi bien qu’au point de vue physique ; et que les modifications de la nature, produites d’une façon ou d’autre, sont héréditaires. L’usage ou la cessation d’usage d’une faculté mentale amène un changement ; une très longue abstention des affaires publiques engendre donc l’indifférence pour ce genre d’affaires. C’est à cela qu’il faut attribuer l’insouciance extraordinaire du peuple souverain pour nos révolutions de ce siècle, qui, toutes, ont été faites sans le consulter. Le paysan, l’ouvrier français, est si doux, si maniable, qu’il accepte la nouvelle d’un changement de gouvernement comme un fermier accepte la nouvelle d’un changement de propriétaire ; il semble que la France n’est pas à lui, n’est pas lui-même, mais qu’il n’en soit que le locataire irresponsable, s’inquiétant peu des grosses réparations qui ne lui incombent pas. Par exemple, autant il est indulgent au succès, autant il devient féroce si le