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nationaux au lieu de haras départementaux ? Pourquoi des primes nationales destinées à encourager la marine marchande en même temps que des douanes protectrices destinées à paralyser son trafic ? Pourquoi l’intervention de l’état dans les monumens historiques de province, dans la construction de trente-cinq chemins de fer locaux, dans l’amélioration de quarante-deux ports de commerce ? Que signifient ces « fonds communs, » ces subventions énormes pour mille besoins divers, ces secours « à des personnes ayant des titres à la bienveillance du gouvernement, » distribués par le cabinet du ministre de l’intérieur, et dont un secrétaire particulier disposa, plusieurs années durant, envers des personnes de l’un et l’autre sexe, qui avaient surtout des titres à sa bienveillance particulière ? Pourquoi nous tendre ainsi la main les uns aux autres, et cet argent, après tout, ne sort-il pas de l’universalité de nos poches ? Assez de charité politique, de fonds d’état distribués aux bureaux de bienfaisance, aux hospices, aux églises, aux collèges… On ne nous donne, en somme, que ce qu’on nous a pris, mais nous espérons tous qu’on nous donnera en même temps un peu de ce qu’on a pris à notre voisin ; nous en sommes réduits à nous piller mutuellement. Ainsi on engage, par l’espérance d’obtenir un secours, les départemens et les communes dans des dépenses disproportionnées avec leur but ; on étend le favoritisme et l’arbitraire, — les membres de la minorité sont menacés de n’avoir pas leur part du gâteau que découpe la majorité. — Prendre à Pierre pour donner à Paul, mettre en commun les uns ce qu’ils ont et les autres ce qu’ils veulent avoir, c’est, par un funeste goût d’uniformité, s’enfoncer dans le socialisme administratif, et chacun voit si l’on y patauge. Vouloir mettre sur le même pied les communes riches et les communes indigentes, prétendre que les départemens pauvres aient le même train de vie que les départemens opulens, c’est le début d’un régime qui forcerait tous les Français à avoir le même logement et la même redingote, et qui finirait par leur faire manger à tous le cruel brouet noir de Sparte sur le trottoir qui longe leur maison.

L’état, étant la collection des individus, a naturellement intérêt à tout ce qui intéresse les individus, mais il n’a pas le droit de régler tout ce qui l’intéresse ; autrement il pourrait légiférer sur toute espèce d’objets, sur la morale privée aussi bien que sur la morale publique, sur l’hygiène ou sur l’instruction. Il existe une loi contre les ivrognes ; pourquoi n’en ferait-on pas une autre contre les paresseux, contre les licencieux, contre les dissipateurs et contre les avares ? C’est une opinion très fausse, très dangereuse, et pourtant très accréditée, que celle qui prétend faire intervenir le gouvernement toutes les fois qu’une chose « ne va pas bien. » Combien de gens aussi qui repoussent en général l’immixtion de la puissance