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remarque, dit-il, me fit peine et plaisir. J’étais heureux de me sentir apprécié et compris, mais je ne me dissimulais pas que cette observation très sensée renversait tous mes calculs, que c’était la ruine de mon invention, et qu’il me fallait y substituer un procédé nouveau. Il se remit à l’œuvre, eut raison de la difficulté, et s’en fut de nouveau trouver sir Charles Presley, qui l’écouta avec un vif intérêt et saisit toute la portée de cette solution. Elle lui permettait, en effet, de ne rien changer à l’organisation des bureaux, de conserver les timbres, les vieilles presses, tout l’ancien matériel ; elle rendait inutile la création de la place de surintendant promise à Henry Bessemer, double bénéfice pour l’état et pour sir Charles Presley, auquel revenait tout le mérite d’un procédé simple, peu coûteux, qui a économisé au trésor britannique 125 millions de francs depuis qu’il est adopté.

Henry Bessemer n’eut jamais sa place, et quand il demanda qu’on lui payât au moins l’indemnité offerte, on lui répondit qu’il n’y avait rien d’écrit. Il réclama le montant de ses déboursés ; on lui fit entendre qu’on ne lui avait pas demandé ce travail, entrepris volontairement, et qu’il y avait quelque chose de peu délicat de sa part à rendre service à l’état et à présenter ensuite une note à payer.

Il était naïf, et toute sa conduite en cette affaire le prouve ; il était pauvre et ne pouvait plaider ; il était fier et ne le voulait pas. Il se le tint pour dit, se promettant bien de ne plus avoir affaire au gouvernement contre lequel il avait de si légitimes griefs. Sa fiancée l’approuva et, confiante dans l’avenir, n’hésita pas à unir son sort au sien, nonobstant leur commune déconvenue.

Ce que l’Angleterre lui refusait, la France, plus généreuse, devait le lui accorder un jour. Pour le moment, force était de se remettre au travail. Le temps consacré à ses recherches, les dépenses qu’elles avaient occasionnées et celles de son mariage avaient absorbé son modeste pécule. Encouragé, soutenu par sa jeune femme, qui avait foi en lui et se passionnait pour ses travaux, il s’adonna à de nouvelles recherches, multipliant ses inventions, dont quelques-unes, adoptées par des industriels intelligens, ramenèrent l’aisance dans son ménage et lui permirent de reconstituer un petit capital. Entraîné par son démon familier de l’invention dans des voies nouvelles, le hasard le fit un jour assister à des expériences d’artillerie. Frappé du peu de portée des pièces d’ancien modèle et de l’incertitude du tir, il fut tenté d’examiner le problème au point de vue de la forme à donner aux projectiles. À cette époque, dit-il, ses connaissances métallurgiques étaient des plus limitées, et il attribua, en partie, à cette ignorance première, les remarquables résultats qu’il obtint par la suite.