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Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/142

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fait très finement observer un des juristes expérimentés du barreau de Paris, M. F. Malapert, il y a, dans ces sortes d’événemens, autant de mécontens que de parties en cause. Les créanciers sont mécontens de n’être pas payés ; le débiteur s’irrite non-seulement d’être insolvable, mais encore de voir passer en d’autres mains l’administration de son patrimoine ; tout le monde se plaint du syndic, qui se plaint de tout le monde; les récriminations retombent par contre-coup sur le juge-commissaire, surveillant du syndic, et comme chacun entend démontrer que rien de fâcheux n’est arrivé par sa faute, chacun s’en prend à la loi, trop douce au gré des uns, trop dure au gré des autres, et qui fourmille assurément de tous les défauts imaginables.

C’est pourquoi, si je ne me trompe, il ne faut pas trop s’arrêter en cette matière à la vivacité ni même au nombre des critiques. J’accorde à M. Thaller qu’il y a dans la réglementation des faillites « une part assez large faite à l’état de l’opinion. » Mais d’abord je ne saurais comparer les législateurs à ces acteurs qui jouent indifféremment les bonnes et les mauvaises pièces, pourvu qu’ils recueillent les applaudissemens du parterre ; qu’il s’agisse ou non de faillite, il faut redresser les écarts de l’opinion, lui tenir tête au besoin. Ensuite et tout au moins, surtout quand il s’agit de cette législation spéciale, il faut discerner les mouvemens artificiels de l’opinion et les aspirations réfléchies, les vœux mûris et raisonnes. Plus il est aisé de former une coalition de mécontens, plus il est nécessaire de peser les griefs. Il faut se demander avec tout le sang-froid possible, d’abord si la loi mérite tous les reproches dont on l’accable, ensuite si l’on ne s’apprête pas à la remplacer par une loi plus défectueuse.

Cela posé, faut-il renoncer à notre loi de 1838 et la bouleverser de fond en comble, ou doit-on la conserver dans ses parties essentielles ? Chacun sait qu’une campagne en règle est ouverte contre cette loi. Les premières escarmouches ne datent pas d’hier. En 1848, les plus solides maisons menaçaient ruine. Le gouvernement provisoire organisa, par un décret du 19 mars, confirmé par une loi du 22 août, un système « assez mal équilibré, » comme l’a dit judicieusement M. Thaller; qui permettait au commerçant, obligé de suspendre ses paiemens, d’échapper aux déchéances de la faillite et même à la qualification de failli. Après la révolution du 4 septembre, ces dispositions transitoires furent reprises, tant par le gouvernement provisoire que par l’assemblée nationale. Mais de ce que des circonstances exceptionnelles avaient légitimé ces mesures d’exception, les pouvoirs publics ne conclurent pas à la nécessité d’une réforme permanente. A la constituante de 1848, Jules Favre et Dupont de Bussac proposèrent d’accorder définitivement aux