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l’indulgence et la sévérité. » L’a-t-elle donc su garder? Nous l’allons voir.

Le projet voté par la chambre établit comme il suit l’échelle des incapacités. Le débiteur concordataire après liquidation reste électeur politique, conserve le droit d’élire les membres des tribunaux et des chambres de commerce, des conseils de prud’hommes, des chambres consultatives des arts et manufactures, mais ne peut être élu à ces fonctions spéciales. S’il n’obtient pas une liquidation judiciaire, il est, on le sait, mis en faillite, et ses droits électoraux de toute nature sont suspendus jusqu’au moment où il aura été statué sur son « excusabilité. » Déclaré excusable, il reprend ses droits d’électeur, mais n’est éligible à aucune fonction élective, même s’il a obtenu un concordat en vertu de la disposition additionnelle votée le 20 octobre 1888. S’il n’est pas déclaré excusable, il subit toutes les incapacités auxquelles les lois actuelles soumettent les faillis. Il encourt enfin, le cas échéant, les peines de la banqueroute simple et de la banqueroute frauduleuse. Nous jugeons inutile de réfuter ceux qui reprocheraient à la chambre de n’être pas allée jusqu’à supprimer toute espèce d’incapacités. Il faut, c’est clair, arrêter d’abord sur une pente funeste les imprudens, les aventureux, les gens indélicats par la perspective de certaines déchéances; il importe, en second lieu, de ne pas se borner à priver le débiteur insolvable des droits auxquels il ne tiendrait pas ou ne tiendrait guère, parce que la loi manquerait de toute efficacité préventive ; enfin, les incapacités doivent survivre plus ou moins complètement au concordat lui-même, afin que l’insolvable garde un intérêt à obtenir sa réhabilitation en remboursant tout son passif. Ces principes me paraissent être au-dessus de toute discussion.

La chambre fait fausse route en n’infligeant au « liquidé » que des incapacités d’ordre professionnel. Les défenseurs mêmes du projet, M. Thaller, par exemple, lui reprochent à juste titre de placer ce liquidé si fort au-dessus du « failli; » le professeur de Lyon craint que les négocians avisés, par l’empressement qu’ils mettront à tirer parti d’un régime aussi doux, ne donnent au pays « un spectacle démoralisant. » A un autre point de vue, les réformateurs manquent assurément le but en établissant des déchéances qu’on subira d’un cœur léger. Toute loi des faillites est mauvaise, avons-nous dit, quand elle n’inspire pas au failli le vif désir de recouvrer la plénitude de ses droits par la réhabilitation qui implique le paiement intégral des dettes. Or, ils seront bien rares, ces débiteurs qui brûleront de reconquérir au prix de pénibles efforts la faculté d’être élus au conseil des prud’hommes !