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les trois jours) « d’ordonner le dépôt du failli dans la maison d’arrêt pour dettes ou la garde de sa personne par un officier de police ou de justice ou par un gendarme[1]. » Cette prescription législative, que n’a pas fait disparaître la suppression de la contrainte par corps, est un véritable anachronisme. On se demande même, puisque, d’après les statistiques, 12 faillis sur 100 supportent en prison l’exécution du jugement déclaratif[2], quels peuvent bien être les lieux d’internement depuis que les maisons d’arrêt pour dettes sont fermées. Cette prise de corps est devenue facultative en Hollande, en Allemagne, dans les états Scandinaves, en Italie, en Angleterre. Je ne verrais aucun inconvénient à suivre, ainsi qu’on le désire à la chambre des députés, cet exemple à peu près général. Il me paraît encore moins raisonnable de prononcer la peine des travaux forcés contre les banqueroutiers frauduleux. Je sais bien qu’on les pendait au XVIe et au XVIIe siècle ; mais, à cette époque, la peine de mort était prodiguée avec une impitoyable cruauté. De nos jours, comme l’a dit M. Malapert, « l’arme est trop lourde, » et les coupables profitent souvent de cette exagération pour échapper à la peine. Il suffirait de prononcer contre le banqueroutier frauduleux l’emprisonnement correctionnel appliqué par le code pénal au débiteur saisi qui détourne à son profit le gage de ses créanciers.

Je proposerais même de lui rendre la faculté d’obtenir sa réhabilitation. D’abord, il ne faut jamais interdire le repentir, même aux plus grands coupables ; qu’est-ce que la société peut faire des découragés et des désespérés? Ensuite, la loi française n’est pas logique : un assassin, un empoisonneur, un parricide peuvent solliciter cette autre réhabilitation qu’organise le code d’instruction criminelle et qui fait aussi cesser « toutes les incapacités résultant de la condamnation ; » le banqueroutier lui-même, en tant que forçat libéré, peut obtenir sa réhabilitation pénale. Mais ce dernier ne peut pas, en tant que commerçant failli, obtenir sa réhabilitation civile. Il est donc très probable qu’il ne réclamera pas non plus la première, également subordonnée au paiement du passif, puisque, en effaçant une souillure, il gardera l’autre. Cependant, en le frappant de cet ostracisme éternel, on frappe aussi ses créanciers, qui ne seront pas intégralement remboursés : absurdité flagrante, car les créanciers d’un banqueroutier n’ont pas plus que ceux d’un

  1. La rigueur de cette disposition est, à vrai dire, tempérée par l’article 473 du code de commerce, qui, si le juge-commissaire ne propose pas un sauf-conduit pour le failli, permet à celui-ci de le demander au tribunal.
  2. Il s’agit probablement de commerçans sur lesquels pèse une présomption de banqueroute et qui subissent une détention préventive.