Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 90.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

temps relativement peu éloigné, cette parité s’accentuera encore et que le bénéfice moyen de l’industriel correspondra, à peu de chose près, au taux moyen et courant de l’intérêt de l’argent dans le pays où il exerce son industrie. Si donc, comme il est vraisemblable, ce taux s’établit sous peu à 2 1/2 ou 3 pour 100, l’industriel travaillant avec ses propres capitaux réaliserait en moyenne 2 1/2 à 3 pour 100 d’intérêt et autant de profit, soit 5 à 6 pour 100 par an. Le jour où, comme certains économistes l’affirment, ce taux baisserait à 1 1/2 ou 1 pour 100, il ne réaliserait plus que 2 à 3 pour 100.

De l’accumulation des capitaux disponibles d’une part, de la diminution de leurs emplois rémunérateurs de l’autre, résulte un troisième fait : la concentration du négoce, la tendance plus accentuée chaque jour de substituer l’industrie collective à l’industrie particulière. Nos immenses magasins modernes, ces gigantesques bazars entassant dans le même local, abritant sous le même toit cent produits divers dont chacun d’eux faisait, il y a moins de cinquante ans, l’objet d’un commerce spécial, représentent cette phase moderne de la concentration excessive, conséquence forcée de la nécessité de répartir, en les amoindrissant, sur une masse d’objets, les frais généraux qui grevaient d’autant le prix de revient, et partant le prix de vente de chacun d’eux.

Enfin, symptôme non moins caractéristique, toutes ces grandes industries, toutes ces vastes usines ou manufactures créées par l’initiative individuelle, et d’où sont sorties ces grandes fortunes personnelles dont nous étudions l’histoire, sont absorbées, l’une après l’autre, par l’association des capitaux personnifiée par les sociétés anonymes. Sur ces puissantes assises ne s’édifient plus guère, comme par le passé, de colossales fortunes; les millions que continuent à rendre ces usines et ces manufactures n’enrichissent plus un possesseur unique qui les a créées, les gère et les exploite. Les plus prospères assurent l’aisance à leurs nombreux actionnaires, mais ne font l’opulence d’aucun. Il n’y a pas lieu de le regretter, l’aisance générale étant plus désirable que la fortune d’un petit nombre contrastant avec la pauvreté de beaucoup ; mais nous retrouvons là encore, sinon l’œuvre de destruction, tout au moins l’œuvre de répartition, de désagrégation, conséquence de nos mœurs et de nos lois sur le partage des successions : désagrégation de la propriété individuelle, extension de la propriété collective; émiettement du domaine particulier, agrandissement du domaine public, telles sont les résultantes du mouvement économique qui emporte nos sociétés modernes.

Mais ces forces productrices dont dispose aujourd’hui l’humanité, et qui ont plus que décuplé en un siècle, aboutissant à un